J’ai tout pour être heureuse : un mari adorable, une jolie maison,
les moyens de ne pas travailler (mon mari, trente-six ans, est médecin, fils d’industriel), pas encore d’enfant (à vingt-sept ans) mais nous attendons encore un peu pour profiter au mieux de notre relation à deux, et pourtant je déprime. J’espère que vous ne sourirez pas mais j’ai perdu mon père à l’âge de douze ans, il me manque toujours et plus que jamais… Comment faire le deuil ?
Dominique C. – 20237 La Porta
La réponse du psychanalyste
Votre histoire, chère Dominique, ne me fait pas sourire
du tout, d’autant qu’elle ressemble beaucoup à
la mienne, avant que je ne consulte un psychanalyste
qui m’a aidée à faire le deuil de mon père prématurément
disparu. Ce vide, cet abîme, que
connaissent tous les individus qui ont perdu un (ou
deux) de leurs parents en bas-âge, peut très difficilement être mis en mots et c’est bien pour cela qu’il
se transforme en maux… Tout d’abord, il faut
savoir que travail sur soi ou pas, ce manque, comme
vous le signifiez, restera toujours là, qui résonnera
en vous comme un signal de détresse car cette
perte, lorsqu’elle survient dans les seize premières
années de l’existence d’un sujet, laisse des traces
indélébiles. La raison n’est pas uniquement affective
mais un enfant, un adolescent, se vit responsable,
inconsciemment, de toutes les situations
négatives familiales ; plus le traumatisme
psychologique est précoce, plus la souffrance
est grande, contrairement aux idées reçues ;
ainsi, bien des adultes pensent que le petit
enfant oubliera vite le parent peu connu… Il
s’agit là d’une grave erreur car l’inconscient,
véritable imprimante, enregistre toutes les
informations le concernant et les garde en
mémoire, à son insu ; la psychanalyse nomme
ces informations « fixations ». Ces fixations
demeureront « engrammées » de façon d’autant
plus douloureuses que le parent restant (ou
la famille) n’aura pas dépassé la mort du
défunt, par trop d’amour, voire par haine, et
l’enfant, à son tour, ne dépassera pas ce point
traumatique ; ne voulant pas rajouter de peine à l’entourage, il restera pudique et ne parlera
jamais du parent disparu.
Alors, comment faire le deuil ? Pas fatalement
en courant chez un psy qui sera un recours toujours
possible mais pas avant (et à la condition)
que vous ayez objectivé que vos ressources psychologiques sont insuffisantes pour
passer à autre chose, c’est-à-dire pour sublimer
cette absence. Il existe des moyens simples et,
même si cela peut vous étonner, cherchez à
identifier ce que la mort de votre père a développé
de positif dans votre existence : force de
caractère, combativité, «per»sévérance (je
l’ai osé !), constance, sensibilité, compréhension, écoute… Car votre « déprime » peut
cacher de précieuses qualités que vous ne vous autorisez pas à exprimer ; autrement dit, un
deuil non fait peut servir un bénéfice fantasmatique
qui consiste à victimiser ! Pour exemple,
ma grand-mère maternelle, orpheline de
mère et de père, qui avait un caractère bien « trempé », me nommait peu aimablement
Cosette car j’étais une enfant triste… et l’analyse
m’a conduite à exercer un métier de paroles
! Mais je cause, je cause… À vous maintenant
de vous interroger car, psy ou pas, ce qui
nous est donné à vivre a un sens et, fondamentalement,
la mesure qui nous est servie correspond
toujours à ce que nos limites nous permettent
de supporter. À nous donc de décider de
faire de nos épreuves une chance de plus.
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