chantal_calatayud

A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

ouvrages-publications-chantal-calatayud-directrice-institut-psychanalyse-ifpa

 

  « Ma fille est-elle une bonne mère ? »  
 


J'ai été un enfant battu. Maintenant, heureux grand-père de 72 ans, une attitude curieuse de ma fille sur Léonard, son bébé de cinq mois, me pousse à vous écrire. Celle-ci, lorsque son enfant pleure, tapote systématiquement les fesses du petit qui a pris l'habitude de cesser de crier à la suite de cette « fessée ». Je suis inquiet. Qu'en pensez-vous ?


Raymond R. - 69140 Rillieux

 

La réponse du psychanalyste

Je comprends votre inquiétude mais il s’agit ici de nuancer toute interprétation. Si la mémoire transgénérationnelle, familiale, filiale, existe, il serait faux d’établir ex abrupto une résonance directe entre ce que vous avez vécu petit et l’attitude de votre fille. Pour qu’il y ait véritable concordance, vous devriez alors constater que la mère du bébé agit de la sorte chaque fois qu’elle est énervée, en colère ou angoissée. Or, vous ne signalez rien de cet ordre-là. Cependant, une relation confusionnelle très inconsciente a dû s’établir entre votre petit-fils et sa mère, ce qui mérite, assurément, réflexion. Il est vrai que l’enfant pourra mettre en place plus tard des comportements illogiques, exprimant ainsi une certaine érotisation de la douleur. Pour exemple, si la vie lui joue un tour douloureux, non content de connaître des ennuis, il pourra compliquer négativement davantage encore la situation. Il pourra aussi rechercher inconsciemment des punitions, gardant en traces mnésiques le (bon) souvenir de ces tapotements qui se voulaient bienveillants de la part de sa mère. Ces quelques explications succinctes vont dans le sens de ce que vous redoutez un peu mais votre place de grand-père ne facilite pas la mise en place d’une prudence à transmettre à votre fille. Le plus simple et le plus efficace a priori consisterait en une discussion directe, loyale, franche avec elle. Vous pourriez, à l’occasion d’une séance de petites tapes affectueuses sur les fesses de l’enfant, dire à votre fille combien cette scène vous rappelle le cauchemar de votre enfance. Cependant, je ne suis pas tout à fait sûre qu’elle soit au courant des faits douloureux que vous avez subis précocement. Ce qui me fait dire cela, c’est une gêne certaine dans vos propos, comme une retenue, de l’ordre d’une honte. Autrement formulé, votre fille cherche, avec ses moyens, secrètement, à vous faire comprendre qu’elle sait. Le moment est venu, Raymond, de vous libérer de ce poids afin de ne pas prendre le moindre risque que votre petit-fils, un jour, ne cherche à son tour, avec ses propres moyens (tout aussi muets), à essayer de transmettre votre histoire. Deux sortes d’agissements pourraient survenir, au plan de probabilités, si est maintenu votre silence : soit Léonard serait un éternel battu au sens figuré, soit il battrait au sens propre. Il ne sera a priori jamais véritablement battu violemment au sens physique du terme puisque, pour lui, il y a malgré tout mémoire d’une sorte d’épreuve de satisfaction. Ainsi est-il donc important que vous parliez avec votre fille, dès que vous en aurez l’occasion, afin que votre petit-fils ne devienne jamais la répétition du bourreau qui vous a martyrisé. D’autant que, et encore une fois, même si les suppositions évoquées précédemment ne sont pas une certitude, comme toujours, « mieux vaut prévenir que guérir ».

 



> Lire d'autres articles