J’ai eu une liaison avec un homme marié, union qui, pour moi, s’est concrétisée avec la venue
au monde de mon fils Loïs, il y a quinze mois. Si mon ami s’est soucié de notre enfant dans les
premières semaines de sa vie, il s’en est désintéressé progressivement et ne l’a pas reconnu. Il
faut dire que la première année de Loïs n’a pas été drôle : il est né avec deux mois d’avance et
pesait 1300 grammes. S’il est vrai que j’ai beaucoup changé en raison de la santé de mon petit
garçon (en étant moins disponible par exemple), je n’ai pas compris le rejet de son père qui a
fini par disparaître de la circulation. J’ai pensé – peut-être pour m’aider à faire mon deuil – que
c’était mieux ainsi mais mon beau-frère, pédiatre, me dit que j’en arrive à former un couple
fusionnel avec Loïs, ce qui n’est pas bon pour lui. Dois-je rétablir un contact avec le père de
mon enfant ?
Yamina N. – 69500 Bron
La réponse du psychanalyste
Bien entendu, si vous en avez la possibilité, il serait
précieux de rétablir un contact, non pas tant en raison
de ce lien fusionnel auquel fait allusion votre
beau-frère (la dé-fusion se met en place progressivement,
en général, au cours des dix-huit premiers
mois de la vie), mais, surtout, parce que le père
représente le monde extérieur pour l’inconscient
collectif et individuel et, donc, la loi. Grandir sans
cette « jambe » rend l’existence plus difficile, plus
bancale, de toute évidence. Par ailleurs, il y a dans
votre situation, un autre axe à considérer : il s’agit
de la reconnaissance officielle de votre enfant par
son père. On constate de plus en plus de cas où les
enfants ne portent pas le nom du père et, en écoutant
ce type de mères, on réalise très vite, la plupart
du temps, que cette situation permet à la mère de
s’approprier fantasmatiquement en totalité l’enfant.
Certains courants psychanalytiques disent même
que la mère « phallicise » l’enfant, dans ce type
d’exemple (souvent par désir inconscient de pouvoir),
et l’enfant (en l’absence du père) va prendre
un pouvoir certain. Si cela reste assez classique, se
surajoute dans l’histoire de Loïs sa prématurité.
Voilà un petit garçon qui, déjà, occupe une place
très importante (certes, de par la précarité de sa
santé), au point que le père se soit volatilisé… Quel
pouvoir pour un inconscient que de se débarrasser
du rival (fantasmatique) aussi rapidement ! Le narcissisme
de votre enfant peut se renforcer à la longue
de façon excessive et toute compétition lui
apparaîtra insupportable, a fortiori s’il n’en est pas
l’heureux gagnant… Ce processus peut le rendre
assez velléitaire quant aux combats inévitables
qu’impose toute existence. Par ailleurs, plus gênant
encore le fait que Loïs puisse fantasmer un jour,
toujours compte tenu du démarrage singulier de sa
vie, que la maladie exclut toute rivalité potentielle.
Voici des hypothèses qui, malheureusement, peuvent
plus tard voir le jour et, plus le temps passe,
plus les labyrinthes inconscients fabriquent ce que
la psychanalyse appelle des noeuds borroméens.
Ainsi,Yamina, réagissez et agissez dès maintenant ;
vous avez de bonnes chances d’offrir à Loïs la
meilleure des protections : effectivement, et encore
une fois, le temps n’a pas eu toute la latitude de
jouer contre votre enfant qui ne découvrira essentiellement
le lien paternel que vers un an et demi
environ.
|