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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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  « Je vis un véritable enfer »  
 

 

Marié depuis dix ans à Martine, je vis un véritable enfer depuis environ cinq ans. Méticuleuse, soignée à l’extrême, elle peut pousser le détail jusqu’à préférer se mettre en retard parce qu’elle redresse au moment de partir un tableau mis de travers. Elle a aussi un sens de l’économie financière qui frise la pathologie. Méprisante vis-à-vis des autres, ses tenues vestimentaires en deviennent ridicules tant elles sont précieuses. À table, elle se tient raide comme un piquet et ne supporte pas de voir la moindre miette de pain. Elle passe aussi beaucoup de temps à tout désinfecter, y compris l’aspirateur. Tout vêtement part directement au pressing, même porté une heure. Pour elle, tout est potentiellement contagieux. Heureusement que nous n’avons pas d’enfant. Je vous écris car j’ai l’impression, peu à peu, de devenir comme elle...

Lucien P. - 69007 Lyon

La réponse du psychanalyste

Tout d’abord, Lucien, on n’attire pas une partenaire par hasard et si vous craignez d’être « contaminé », c’est que votre propre terreau est favorable. Je suis à peu près sûre, même si vous n’en parlez pas, que cette femme a dû vous séduire par son aspect « tiré à quatre épingles ». N’êtes-vous pas, vous-même, extrêmement soigné ? Ceci dit, il se dégage de vos descriptions des traits de caractère qui peuvent conduire à penser que votre épouse présente un profil anancastique. Cet état pousse le sujet qui en souffre à agir comme s’il était commandé par un juge intérieur, particulièrement féroce. Deux autres axes sont à considérer dans cette pathologie singulière : la victime se croit obligée de penser le contraire de ce qu’elle pense fondamentalement, tout comme elle peut être poussée à sentir malgré elle (vêtements, nourriture, etc.), alors que rien de logique va dans ce sens. Les personnalités anancastiques se montrent effectivement particulièrement phobiques et leurs conduites obsessionnelles sont souvent accompagnées de rituels. En outre, votre courrier objective clairement que vous « craquez ». Cela n’a rien d’étonnant car vous subodorez un état quasi dépressif chez Martine. Les décompensations dépressives sont fréquentes chez les anancastes.
Le fait de ne pas avoir d’enfant ouvre une brèche intéressante. Il est certain que votre compagne peut inconsciemment se traiter, se pomponner comme une mère le ferait avec son bébé. Ne désinfecte-t-on pas les biberons ? Au même titre qu’une maman psychorigide demande à ses chérubins de ne pas laisser une miette dans son assiette… Tout ceci pour vous dire qu’un phénomène de déplacement a dû s’immiscer en l’absence de naissance, encore une fois sur un terrain propice.
Une thérapie de couple pourrait vous aider à « dépoussiérer » tous ces ancrages démoniaques et surtout vous permettre de réfléchir constructivement à cette absence de progéniture car votre « heureusement que nous n’avons pas d’enfant » sent le paradoxe. Me guident dans cette direction des termes comme « tableau », « piquet », que vous n’avez pas utilisés innocemment dans votre courrier. Tout comme l’expression « cinq ans »… Seul, un travail avec un thérapeute peut contribuer à vous sortir de cet enfermement. Encore faut-il que vous acceptiez de ne plus regarder Martine comme une mère idéale et qu’elle-même soit prête à quitter son fantasme d’idéalisation quant à la fonction paternelle...

 

 

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