chantal_calatayud

A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

ouvrages-publications-chantal-calatayud-directrice-institut-psychanalyse-ifpa


Je parle comme je mange !


Dans une ère dite de communication, le paradoxe règne ! Il semble difficile aujourd’hui, effectivement, de s’imposer dans l’univers professionnel si l’élocution laisse à désirer. Mais, en parallèle, il est tout aussi difficile de trouver sa place dans ce même monde si la silhouette ne renvoie pas une image svelte, filiforme, synonyme – quoi qu’il en soit – de contraintes alimentaires…

Et pourtant, parler et manger sont indissociables. Pas en même temps, bien entendu, règles de bienséance obligent ! Mais l’oralité a ses exigences qu’il convient de prendre en compte.

Un peu de douceur
Le petit d’Homme en venant au monde est bien malmené, malgré l’excellence des soins qui lui sont prodigués. Tout simplement parce qu’après avoir quitté cette sorte de paradis que constitue la gestation, il doit affronter l’extérieur, les odeurs, les bruits, la lumière et faire l’expérience de « l’autre », de tous ces autres qui le prennent dans leurs bras. Plus ou moins adroitement ! Fort heureusement, l’olfaction lui fait trouver le sein de la mère et la bouche est très vite et inconsciemment, pour lui, associée au « bon » et au plaisir. C’est de cette petite sphère que sortent les signes sonores de joie ou de détresse, puis – plus tard – des paroles agréables ou fielleuses, fluides ou saccadées. Mais, dans un premier temps, l’absorption constitue un mode réparateur des désagréments que le monde inflige au nouveau-né. Et nous gardons pour toujours cette mémoire-là ! En témoigne Cloé : J’ai remarqué très tôt dans ma vie que mes contrariétés s’allègent avec la prise de deux carrés de chocolat. J’en ai rapidement déduit qu’il y a dans ce réflexe une potentielle autonomie et une réassurance qui mettent à distance la difficulté. D’où la possibilité d’une vraie réflexion…

Un peu comme les sophistes
Dès le Vème siècle av. J. C., en Grèce et à Athènes en particulier, des hommes de condition modeste développent l’idée d’accorder une importance prépondérante au langage. Démocrates dans l’âme, ils ont la conviction que le langage est un outil de pouvoir plus que précieux : il est carrément miraculeux. Le mouvement sophiste part de là. Au fil des siècles et en fonction du statut social et des crises économiques, l’alimentation fluctue, faisant de fait évoluer les tendances. Mais ce qui a toujours subsisté, c’est que (bien) manger renvoie d’une certaine façon une idée de réussite. Cloé poursuit : J’ai arrêté de m’investir et d’investir dans des régimes : certes, je maigrissais mais mon verbe était aride, sec, agressif et, curieusement, mon vocabulaire s’appauvrissait…
Le témoignage de cette jeune-femme est parfaitement logique. L’inconscient peut, sous l’effet de privations injustifiées, être ramené à un épisode de pénurie de l’héritage transgénérationnel, comme la guerre par exemple. Cette réaction s’avère d’autant plus dommageable que ce processus, dit d’annulation rétroactive par la psychanalyse, peut véritablement conduire à devenir pauvre : perte d’emploi ou même périodes de grève de transports par exemple. Dans ces deux cas, on comprend aisément que l’inconscient prend au mot. Tout comme une grève des routiers peut entraîner des rayons de magasins vides, ce qui renvoie symboliquement à des années de guerre…
Ainsi manger présente-t-il l’avantage d’arrondir nos propos, de les lier au nom d’une réalité présente, d’aimer et de se faire aimer, d’apprécier et de se faire apprécier. De la cure par la parole, Sigmund Freud, son inventeur, ne disait-il pas qu’elle doit générer amour « et » travail…

 

 

> Lire d'autres articles