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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur, parus dans Psychanalyse magazine.
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Le conte psychanalytique, une seconde chance

Les conduites d’échec ponctuent le parcours de bien des individus et il semblerait, à entendre certains enseignants, que l’école, pourtant espace de socialisation, d’humanisation et de connaissance, ait de grandes difficultés à gérer les troubles de l’apprentissage, notamment dans le domaine de la lecture. Sensibilisé par ce processus, le docteur Laurence Pescay, directrice scientifique de Signes & sens magazine, a voulu connaître l’avis de Chantal Calatayud.

Dr laurence Pescay : Alors que vous êtes psychanalyste et directrice de l’Institut Français de Psychanalyse Appliquée, quelles raisons vous ont poussée à écrire des contes psychanalytiques destinés au petit enfant, ainsi qu’une méthode de lecture pour l’élève de sept-huit ans en échec d’apprentissage de la lecture ?
Chantal Calatayud : Une répétition de demandes de consultations pour des enfants de CP-CE1, intelligents mais qui rencontrent des résistances qui ne répondent à aucune logique consciente. Et puis surtout, il y a eu Antoine. C’est lui qui a fait que j’ai décidé de passer à l’acte, alors que j’y pensais depuis longtemps déjà mais de façon velléitaire. Antoine, sept ans, à l’intelligence supérieure mais qui bloquait à la vue des syllabes.

Dr L. P. : Comment expliquez-vous les troubles de la lecture que l’enseignement lui-même dénonce aujourd’hui ?
C. C. : Lorsque j’ai décidé de me pencher sur les difficultés de ces jeunes analysants, j’ai tout de suite compulsé des livres de lecture de CP et là, j’ai découvert, dès les premières pages, des textes inoffensifs en apparence mais qui peuvent déstabiliser un très jeune inconscient.
Je prends pour exemple l’histoire de Babar, que tout le monde connaît, racontée en première page d’un livre de lecture de CP : alors que sa maman y est décrite comme gentille, elle est tuée par un vilain chasseur et Babar, fou de douleur, est complètement perdu…
Si l’élève qui découvre ce texte, dès les premières heures de la rentrée scolaire, n’est pas « abandonnique », il ne mettra pas en place de résistance mais, s’il souffre d’une névrose d’abandon (et malheureusement, ni les parents, ni les enseignants ne peuvent le déceler d’évidence), l’enfant bloquera et utilisera toute son énergie pour mettre en place des mécanismes de défense afin de ne pas « entendre »… Et c’est ainsi que les difficultés se surajouteront au fil de l’année scolaire.

Dr L. P. : Votre méthode de lecture s’intitule « Je regarde, je raconte, je lis » ; vous en avez donc écrit les textes mais vous l’avez réalisée en collaboration avec une illustratrice, Virginie Peyre. Quelle importance accordez-vous à l’image ?
C. C. : Elle est primordiale. Tout processus d’identification passe par le regard. Selon Françoise Dolto, « les petits d’Homme ont des propensions simiesques » qu’il faut donc exploiter au nom d’une évidence de la nature. Les parents, les enseignants peuvent permettre à l’enfant d’accéder à l’image ; l’enfant doit d’abord « lire » l’image ; il le fera à sa façon à lui, donc sans violence puisqu’il s’auto-protègera instinctivement. Je raisonne bien sûr sur la possibilité d’images non agressives!


Dr L. P. : Vous mettez donc le regard en priorité, puis vient le « dire ». Pour quelle raison ?
C. C. : Si vous regardez un tableau quel qu’il soit, il y aura toujours un état émotionnel qui jaillira au conscient. Il faut permettre à l’enfant d’exprimer ce qu’il a ressenti, d’autant que ses projections vont permettre d’accéder à son imaginaire. Ce « registre imaginaire » est d’ailleurs le champ de l’investigation analytique par excellence !


Dr L. P. : Mais comment l’inconscient de l’enfant va-t-il pouvoir passer du « dire » au « faire » ?
C. C. : Je reviens encore à Françoise Dolto qui disait qu’« instruire un enfant qui ne demande rien, c’est le traumatiser ». Une fois que l’enfant s’est exprimé librement (c’est la méthode des associations libres de Freud, comme vous le savez), il a libéré des affects qui prenaient jusque-là la forme de barrages qu’il a ainsi pu lever. Il peut alors assumer sanscrainte sa propre image, donc le sens qu’il donne aux mots (et aux maux) sans traumatisme. Lephonème devient accessible.

Dr L. P. : Dans un conte pour enfants, dans une méthode de lecture, que doit respecter avant tout son auteur ?
C. C. : C’est une question importante à mon sens. Outre les querelles plus ou moins justifiées concernant les limites d’une méthode dite globale, outre les différences de maturation d’un enfant à un autre, il est fondamental de respecter une organisation inconsciente, une sorte de chronologie de la psyché. La mise en place de stades se fait selon un certain ordre qu’on ne doit pas bousculer. C’est ce qui fait une des spécificités de la guidance de la cure analytique. Ainsi, en venant au monde, le nouveau-né découvre-t-il le plaisir par la succion ; c’est donc une hérésie de mettre un inconscient prématurément face à la perte, lors d’un apprentissage de la lecture, si je reprends l’exemple de Babar que j’ai cité tout à l’heure. Et combien d’exemples de ce type sont à dénoncer…

Dr L. P. : Vous avez nommé Françoise Dolto à deux reprises, Françoise Dolto qui a publié un essai sur l’éducation, « L’échec scolaire ». Elle dit dans cet ouvrage qu’une éducation est réussie quand elle est ratée. Qu’en pensez-vous ?
C. C. : Il fallait tout le talent de cette grande dame de la psychanalyse pour déculpabiliser de la sorte les parents car il semblerait alors, selon le principe qu’elle énonce, que toute éducation soit réussie…

 


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