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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

Livres Psy didactiques gratuits de Chantal Calatayud, psychanalyste et didacticienne analytique

La nécessité de faire la paix avec ses parents


Il existe des familles objectivement difficiles qui entraînent, en règle générale, le départ de l'enfant de la maison dès sa majorité. Le jeune ne supporte plus le climat épouvantable qui y règne. Il ressasse souvent des années auparavant cette fuite dans laquelle il met tous ses espoirs de survie, combien même sait-il que, dorénavant, il ne devra compter que sur lui. Mais en a-t-il vraiment été autrement jusqu'ici ?

La maltraitance physique est une des causes de cette décision ferme et définitive mais la maltraitance morale, tout aussi pernicieuse, peut prendre des masques habiles qui abîment tout autant la victime. Il est à noter que tous les milieux sociaux sont concernés, sans exception, et qu'une mère et/ou un père peuvent être les acteurs démoniaques du déni de la respectabilité de l'enfant.

La maltraitance physique
Ce sujet reste complexe car il convoque deux possibilités : soit le parent répète sur sa fille et/ou son fils les sévices corporels qu'il a subis lui-même dans son enfance, soit - par rivalité inconsciente avec l'enfant -, il se venge sur lui de son existence...
. Léonard, 45 ans, carreleur, évoque dans une colère réfrénée mais tangible son quotidien de l'école primaire à son CAP : " J'étais un enfant sage et appliqué. Quand mon père rentrait du travail, il prétextait les devoirs pour me taper. Selon lui, je ne lisais pas assez vite ou je ne savais pas suffisamment ma poésie. Les claques tombaient. J'étais paralysé. Je perdais complètement mes moyens. Plus il voyait que j'avais peur, plus il redoublait les coups. Et d'ailleurs, en disant ça, je précise que j'ai redoublé deux fois. Il y a peut-être un lien ? "...
Le lien est évident, l'inconscient imaginant qu'il est responsable de la violence du père. Dans la plupart des cas, il s'agit d'une culpabilité refoulée et inhérente au scénario œdipien, ou à sa mémoire si cette période normale du développement psychogénétique n'est pas d'actualité. Effectivement, dans le fantasme, les pulsions séductrices dirigées vers la mère ou le père ayant buté sur l'interdit de l'inceste, la menace de la castration laisse des traces mnésiques indélébiles.

La maltraitance psychologique
Cette forme d'agression investit de multiples attitudes. Si le sadisme est oral, il peut être le résultat d'une ou de plusieurs addictions du père et/ou de la mère (alcool, drogue, jeux)...
. Flavie, 36 ans, coiffeuse, pleure en se souvenant de son enfance et de son adolescence : " Mes parents étaient alcooliques. Ma mère ne travaillait pas et mon père, plâtrier, se cassait toujours quelque chose vu qu'il tombait sans arrêt. Aussi, il ne bossait quasiment jamais. Ma sœur et moi devions faire les courses avec le peu d'argent donné, faire la vaisselle, le ménage, le linge... Ça n'allait jamais. À tour de rôle, nos parents nous insultaient. Ils nous privaient alors de manger. Il y a eu un signalement mais j'ai vite compris que l'assistante sociale fermait les yeux. À 17 ans, ma sœur s'est jetée sous un train. Mon père l'appelait 'la pute' depuis qu'il avait su qu'elle avait un petit copain. Elle était devenue anorexique. Jamais je ne leur pardonnerai mon enfance et mon adolescence volées, et encore moins la mort de ma sœur. Je ne les ai plus jamais revus depuis mes 18 ans. Ils ne savent pas où je vis et ils ne le sauront jamais. "...
Ce type de couple parental pathologique est beaucoup plus fréquent qu'on ne pourrait l'envisager. Mais il y a aussi Jean-Baptiste, 23 ans, homosexuel, que son père - dans une confusion aberrante - étiquetait de 'pédophile' : " J'ai trouvé le courage d'en parler à mon parrain, homme ouvert et adorable, qui, comprenant que je déprimais et que je me détestais et grâce à des ruses de Sioux, m'a pris sous son aile. Comme je voulais être photographe, il a prétexté habiter en région parisienne pour que je puisse être dans une bonne école. Mes parents ont accepté mais je sais qu'ils étaient contents que je parte dans la mesure où ils avaient honte de moi. Je n'arrive pas à m'imposer encore dans l'univers de la photo car j'ai du mal à me reconstruire. Je finissais par avoir peur de moi-même, ayant développé peu à peu l'idée que mon homosexualité pourrait me conduire un jour à la pédophilie. Heureusement, j'ai confié cette angoisse à mon amoureux qui m'a expliqué l'absurdité de mon raisonnement en me listant le nombre d'homosexuels connus qui sont des mecs bien. Par contre, je ne vois plus du tout mes parents, qui semblent s'en moquer du reste, et j'ai acquis la certitude que je ne les reverrai jamais mais j'en ai gros sur le cœur... "...
Indépendamment de l'impression d'un ratage total du lien parents-enfant, les regrets et autres remords œuvrent en sourdine, la personne agressée étant - parfois sans l'identifier - mélancolique. C'est en ce sens que faire la paix avec ses parents devient thérapeutique.

Le pardon
Il n'est pas toujours possible de vive voix de pardonner à ses parents le mal qu'ils ont fait à un ou des membres de leur descendance immédiate. Les géniteurs ont pu décéder avant que cet acte réparateur émerge au conscient comme indispensable à un bon équilibre. Ceci étant et s'ils sont toujours en vie, ils sont rarement prêts à accueillir cette démarche structurante, soit parce qu'ils sont eux-même hors principe de réalité, soit parce que leur orgueil les a installés dans une position de domination. Pas de panique toutefois car pardonner n'exige aucunement qu'il y ait une présence physique ou sonore. Des pensées positives, chaque jour, à leur égard, viennent à bout de la haine la plus sédimentée...
. Amélie, 31 ans, psychologue, exprime ce détachement avec une solide centration : " Mon père passait son temps à me tripoter, à me caresser les cuisses, les seins, en riant mais il ne riait pas. Il agissait ainsi pour rassurer ma mère qui n'était pas dupe mais qui n'intervenait pas. Ils me dégoûtaient tous les deux. À 16 ans, alors que je faisais courir mon chien dans la prairie avoisinante, il a profité de l'absence de ma mère pour me pousser. Je suis tombée par terre et il s'est jeté sur moi. Je lui ai collé une gifle mémorable et il ne m'a plus jamais embêtée mais je ne lui ai plus jamais adressé la parole. Mon diplôme en poche, je suis allée m'installer à 500 km de mon village natal. Je ne les appelais jamais. Quand ils me téléphonaient, ou je ne leur répondais pas, ou je les décourageais en leur disant que j'allais sortir. Ils ont été tués dans un accident de car il y a 3 ans. J'ai assisté à leur enterrement dans l'indifférence. Ni chaud ni froid. J'ai pris conscience que ce n'était pas normal. En fait, j'avais anesthésié ma colère. Comme j'avais un eczéma depuis l'histoire de la gifle, j'ai saisi qu'il y avait une corrélation. Rapidement, j'ai décidé - plutôt que de repasser en boucle ce que mes parents m'avaient enlevé - de penser à ce qu'ils m'avaient apporté. Mon eczéma s'est estompé peu à peu jusqu'à disparaître entièrement ! "...
La psychothérapeute Marie Borrel, auteur de " 81 façons de faire la paix avec ses parents ", publié aux Éditions Guy Trédaniel, insiste sur une dimension affective importante, en soulignant que nous n'avons pas d'obligation d'amour envers nos parents : " L'amour ne se décide pas. Il ne s'impose pas. Il se ressent... ou pas ! On peut aimer ou non ses parents. ". En revanche, précise-t-elle, " mais même si on ne les aime pas, on a tout à gagner à accepter ce qu'ils sont pour se libérer des entraves du passé et des souffrances qui continuent à perturber notre présent. "... En outre, faire la paix avec ses parents est le seul moyen fiable de ne pas répéter leurs agissements névrotiques ou borderline, étayés sur de la haine la plupart du temps. La paix étant un acte d'amour, elle liquide toute pulsion identificatoire indésirable.

 

 

 

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