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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

Livres Psy didactiques gratuits de Chantal Calatayud, psychanalyste et didacticienne analytique

L'enfant de remplacement


La place délicate d'enfant de remplacement a bien entendu toujours existé. Quelques noms de célébrités peuvent témoigner des conséquences psychologiques liées à une naissance après le décès d'un membre de la fratrie, comme les peintres Vincent van Gogh et Salvador Dali, le chanteur Daniel Balavoine, pour ne citer qu'eux... Il est à noter aussi que la disparition d'un frère ou d'une sœur aîné(é) par mort in-utero, ou même par fausse couche, ne laisse pas davantage l'inconscient indemne...

Deux facteurs perturbants interviennent dans la destinée singulière de celui ou de celle qui va avoir la lourde tâche de réparer, de rassurer ses parents et de leur rendre leur confiance et leur joie. Effectivement, cette mission impossible entraînera définitivement non seulement une confusion identitaire mais une culpabilité à vie...

La confusion identitaire
Déjà qu'il n'est pas évident pour l'être humain de se dégager de ses identifications maternelle et paternelle, prendre la succession difficile du jeune défunt, idéalisé de façon toujours excessive par ses géniteurs, " génère " une difficulté supplémentaire à s'autoriser à être soi...
. Fanchon, 36 ans, pédiatre, est venue au monde deux ans jour pour jour après l'enterrement de sa sœur âgée de 3 ans, décédée d'une tumeur cérébrale. Elle est en psychanalyse, certaine que son homosexualité n'est pas innée mais acquise : " Imaginez l'ambiance qui régnait à la maison lors de mes anniversaires... Je ne peux pas en vouloir à mes parents mais trois jours avant de souffler mes bougies, le rituel consistait à aller porter des fleurs sur la tombe de leur petite chérie qu'ils décrivaient comme une vraie petite fille modèle ! Du coup, je scrutais ses photos qui trônaient dans toutes les pièces et je faisais tout pour lui ressembler. Je la singeais à ma façon mais j'échouais lamentablement ! Je demandais à ma mère qu'elle m'achète des robes roses ou blanches. Je me détestais dans ces tenues de poupée et soit je les déchirais en montant dans les arbres, soit je les salissais pas si tôt enfilées ! Ce genre d'incident faisait que ma mère, laminée par le chagrin d'avoir perdu sa 'grande', comme elle aimait appeler celle qui l'avait rendue mélancolique à jamais, me répétait inlassablement que son 'rayon de soleil n'avait jamais eu des comportements aussi vulgaires'... " Vulgaires ", assénait la mère ? : " Oui, oui, je n'ai jamais compris ce que la vulgarité venait faire dans mon empêchement à rester impeccable, mais c'est ce qu'elle me répétait méchamment, sans s'occuper du poids qu'elle me collait sur les épaules... "... Il est certain qu'entre le fait que cette maman cherchait certainement à retrouver sa " grande " dans la petite et Fanchon qui n'existait que par procuration, son vrai-self ne pouvait qu'être de plus en plus refoulé : " J'avais l'interdiction formelle d'aller dans la chambre de ma sœur. Je me demandais bien pourquoi. Un jour, poussée par ma curiosité, j'y suis entrée en cachette. La pièce était dans le noir car les volets étaient clos. J'ai éclairé la lumière et j'ai saisi à cet instant que rien n'avait plus bougé depuis sa mort ! C'était un musée. J'ai pris une poupée, impeccable, pas comme les miennes que je désarticulais régulièrement, et ma mère est entrée à ce moment-là. Elle s'est mise à hurler comme si j'avais provoqué un cataclysme. Elle m'a forcé à lâcher la poupée, m'a prise violemment par un bras et m'a donné une fessée mémorable. "... La suite de l'histoire immédiate de Fanchon est douloureuse : " J'avais 6 ans quand cette scène est arrivée. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans ma tête mais j'ai eu comme un déclic désastreux : pour que ma mère m'aime, il fallait que je meure comme ma sœur ! J'ai développé une anorexie grave pendant plusieurs mois. Mon père était médecin et peut-être savais-je quelque part que je ne prenais pas de risques réels mais une chose est sûre, c'est qu'au conscient je voulais être morte. Je ne mangeais donc pratiquement plus, j'étais affaiblie. Mon cher papa me faisait prendre des granulés blancs genre vers de terre, du moins c'est ainsi que je les voyais, ce qui n'était sûrement pas le fruit du hasard ! Je n'allais quasiment plus à l'école, ce qui m'a d'ailleurs valu le redoublement de mon cours préparatoire ! "... Ce témoignage traduit combien un inconscient, lorsqu'il est complètement perdu identitairement, peut dénier son propre moi. Le parcours de cette analysante aurait pu être tragique mais ses pulsions de vie ont capté le désintérêt total maternel à son égard : " J'ai arrêté de vouloir mourir quand j'ai constaté que ma mère ne m'accordait pas plus d'importance qu'auparavant. Je me suis réfugiée dans le travail scolaire. ". Cette remarque de Fanchon est très intéressante dans la mesure où, ayant trouvé l'énergie de se détacher d'une identité qui n'était pas la sienne, elle a fait ce que sa sœur n'avait jamais pu faire compte tenu de l'âge qu'elle avait lors de sa disparition : aller à l'école... Quant à sa profession de pédiatre, cette patiente l'a analysée toute seule depuis longtemps : " J'adore les bébés et ceux-là, j'ai le droit de m'en occuper puisqu'ils me sont confiés médicalement, à l'inverse des poupées de ma sœur qui m'étaient devenues complètement inaccessibles à la suite de mon exploration dans sa chambre que ma mère a fermée à clef jusqu'à la fin de ses jours ! "... Cette analysante, bien que réparant l'enfance détruite par la maladie et ce, grâce à son métier, est parvenue malgré tout à exister mais, parfois malheureusement, quand les auto-accusations infondées s'emparent du psychisme, les dégâts peuvent mettre à mal l'équilibre mental...

La culpabilité
Dans les toutes premières années de sa vie, le petit d'Homme fantasme qu'il est à l'origine de tout évènement...
. Benoît, 41ans, a été conçu quelques mois après la noyade de sa sœur à l'âge de 11 ans. Ce n'est un secret pour personne dans sa famille. Il n'a jamais obtenu le moindre diplôme et souffre d'une anxiété sociale diagnostiquée médicalement. Il n'a quasiment jamais travaillé. Sa timidité pathologique l'handicape depuis toujours. Il vit chez ses parents et est à leur charge. Il n'est pas paranoïaque, le tableau clinique en atteste, mais il est gêné en permanence par l'impression désagréable qu'on le regarde et qu'on le juge. Il se dit " bête ". Il sait que c'est excessif car il comprend des " choses que les autres ne comprennent pas ". Il évite savamment les contacts humains. Il transpire anormalement, notamment au niveau des mains, et rougit très facilement. Pour se sentir mieux dans sa peau, assure-t-il lors de l'entretien préliminaire de psychanalyse, il est devenu un gros fumeur. C'est sa mère qui lui achète ses cigarettes : " C'est curieux ce que je ressens mais je suis certain que ma sœur, si elle m'avait connu, ne m'aurait pas supporté ! Mon père m'a toujours expliqué qu'elle était volontaire. En même temps, si elle n'était pas morte je ne serais pas là. Je me sens fautif en permanence de prendre sa place. Comme je suis croyant et que je crois à la vie après la vie, je sais qu'elle me surveille de l'Autre Dimension où elle est maintenant. Je m'applique à la satisfaire. Par exemple, la semaine dernière j'ai voulu astiquer les cuivres. J'ai fait des efforts énormes mais je sais que ma sœur aurait fait mieux que moi. Elle m'a envoyé un signe pour me le faire comprendre. "... Quel signe ? Benoît hésite et rougit. Une bonne minute s'écoule : " Le flacon du produit pour les cuivres s'est renversé "... Mais ce flacon ne s'est pas renversé tout seul ? : " C'est ma sœur qui l'a renversé en utilisant les forces occultes pour me faire voir que mon travail était nul. Comment voulez-vous que je trouve du boulot avec une incompétence pareille ? Si ma sœur ne m'accepte pas, qui peut m'accepter ? "...
Tout individu ressent de la culpabilité s'il transgresse des limites imposées par l'inconscient familial, par l'inconscient individuel et par l'inconscient collectif. Ce phénomène s'allie avec le processus de réparation et est, par voie de conséquence, non seulement humanisant mais protecteur pour l'entourage et pour soi. Par contre, chez l'enfant de remplacement, la culpabilité - lorsqu'elle est exacerbée et à son paroxysme - est coupée du processus de réparation. La notion d'échec absolu crée un sentiment d'inutilité qui obstrue en totalité le moindre intérêt pour corriger une faute fantasmée. Benoît exprime cette particularité : " J'agis mal dans tout ce que j'entreprends. Ça s'explique : mon existence est usurpée. Je suis un usurpateur de vie. Je n'ai pas vraiment ma place sur Terre. J'ai été purement et simplement fabriqué à la suite d'un drame. J'ai été fabriqué comme un objet et un objet c'est inanimé et ça ne fait rien. De toute manière, j'occupe à tort la place de quelqu'un ici-bas. Déjà que le chômage règne, trouver du travail me mettrait encore plus mal à l'aise. "... Sigmund Freud explique que cette forme de culpabilité sous-jacente, c'est-à-dire aux prises avec une lutte acharnée inconsciente, " comme étant le plus puissant des obstacles qui mènent vers la voie de la guérison. ". De son côté, Salvador Dali résume explicitement cette impossible guérison, même s'il a sublimé en partie sa blessure grâce à l'art. Selon lui, il fut carrément conçu le jour du décès de son frère aîné dont il porte le prénom : " J'ai vécu ma mort avant de vivre ma vie. Mon frère est décédé d'une méningite. Ma mère ne s'en remit jamais. Sa disparition fut un choc terrible. Le désespoir de mes parents ne fut apaisé que par ma naissance mais leur malheur continuant à perpétuer chaque cellule de leur corps et du mien. Leur angoisse était devenue mienne. Elle ne m'a jamais quitté. "...

 

 

 

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