chantal_calatayud

A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

Livres Psy didactiques gratuits de Chantal Calatayud, psychanalyste et didacticienne analytique

L'enfer, est-ce vraiment les autres ?


Le philosophe Jean-Paul Sartre assurait que " l'enfer, c'est les autres "... D'un point de vue humain, nous pouvons ressentir cette affirmation comme juste, justifiable et justifiée. De leur côté, les religions considèrent que nous devons nous adapter à notre prochain, Saint Paul ajoutant même que nous ne devons jamais chercher notre intérêt personnel. Mais qu'en est-il de la psychanalyse qui met en garde contre nos réactions projectives ?

Un membre de notre entourage peut nous déranger. Ses comportements préjudiciables peuvent être analysés de façon objective et/ou ressenties de manière subjective. Ainsi est-il certain que nos affects, plus ou moins refoulés, jouent un rôle déterminant dans le rejet que nous pouvons avoir devant un proche ou un moins proche.

La projection défensive
Dans leur " Vocabulaire de la Psychanalyse " (puf), Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis définissent la projection comme étant " l'opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l'autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, qu'il méconnaît ou refuse en lui. ". Ils précisent que " le sujet montre par son attitude qu'il assimile telle personne à telle autre : on dit alors, par exemple, qu'il 'projette' l'image de son père sur son patron. "...
. Corentin*, 27 ans, prothésiste dentaire, parle encore avec difficulté de sa confusion fantasmatique : " Je suis arrivé en psychanalyse sur les conseils de mon amie, infirmière. J'ai été mis dehors du cabinet prothésiste où je travaillais parce que je m'opposais systématiquement à mon patron, jusqu'au jour où j'ai détruit de colère le travail que j'étais en train d'effectuer. Ma cure a rapidement mis en évidence que je prenais inconsciemment mon boss pour mon père. Mon père, militaire, a toujours eu des problèmes dentaires. Quand il avait une rage de dents, il devenait odieux, effrayant. Je me suis alors souvenu d'une crise qu'il avait piquée. Je devais avoir 5 ans. Il souffrait tellement qu'il a brutalisé ma mère qui lui apportait un verre d'eau avec un cachet. Elle est tombée par terre et le verre a explosé sur le carrelage. J'ai essayé de protéger ma maman car j'avais peur qu'elle reçoive des coups. Je me suis couché sur elle mais mon père m'a relevé violemment en attrapant mon bras et m'a enfermé dans ma chambre. Cette scène m'a horrifié... "...
Cet extrait de séance psychanalytique restitue la double particularité du processus projectif : l'espace et le temps se confondent selon une réactualisation qui échappe à toute logique consciente.

La jalousie projective
Laplanche et Pontalis rappellent dans leur ouvrage que " dans ce que Freud désigne du nom de 'jalousie projective' en la distinguant aussi bien de la jalousie 'normale' que du délire de jalousie paranoïaque, il voit à l'œuvre la projection : le sujet se défend de ses propres désirs d'être infidèle en imputant l'infidélité à son conjoint. "...
. Joëlle*, 34 ans, violoniste, évoque l'enfer qu'elle s'est infligé durant de nombreuses années avec son mari : " Quand il se faisait bronzer après avoir nagé, je lui disais que c'était pour séduire les femmes. Quand il partait un peu plus tôt au travail, je lui assénais qu'il rejoignait sa maîtresse. Tout était à l'avenant. En fait, je ne voulais pas m'avouer que je ne l'avais jamais aimé. Il ne correspondait en aucun point au profil d'homme que j'aurais voulu épouser. Moniteur d'auto-école, plus manuel qu'intellectuel, je ne trouvais rien à lui dire. Je m'ennuyais avec lui. En fait, j'ai admis que j'étais amoureuse de mon beau-frère grâce à ma sœur qui a fini par craquer devant les attitudes de séduction que je déployais vis-à-vis de son amoureux, avocat... D'ailleurs, s'il m'avait fait une proposition sentimentale, j'aurais accepté ! "...

La certitude qu'il est impératif d'intégrer s'étaye avant tout sur un mécanisme de rivalité. Cette menace psychique, forgée par le fantasme, pousse à rechercher les causes de notre mal-être, voire de nos agissements, à l'extérieur, alors qu'il s'agit de mettre à nu nos souffrances intériorisées. Si elles sont liées à une certaine immaturité pulsionnelle, fixées dans l'inconscient depuis les toutes premières années de notre existence, nous accordant de fait des circonstances atténuantes, la projection a cependant la très mauvaise habitude de transformer " l'affect d'amour " en " affect de haine ". Tout un chacun a pu vérifier que les individus agressifs, malhonnêtes, déséquilibrés de quelque nature qu'ils soient existent et il n'est pas question de nier cette réalité. Il est certain aussi que subir les comportements pathologiques de ces personnes-là constitue une abomination. Toutefois, cette dure vérité ne doit pas exclure notre responsabilité ni nos parts d'ombre. Sigmund Freud ne nous a-t-il pas expliqué que " les névroses s'attirent et se complètent "...

* Par éthique professionnelle, les prénoms utilisés dans cet article ont été changés.

 

 

 

> Lire d'autres articles