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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

Livres Psy didactiques gratuits de Chantal Calatayud, psychanalyste et didacticienne analytique

Les masques de la résilience


Tout un chacun ne serait apparemment pas résilient. Cette perception d'individus que nous cataloguons à tort de faibles s'étaye quoi qu'il en soit sur le mystère de la sublimation. Pourquoi des personnes qui ont " tout " se suicident-elles ? Pourquoi certains déportés sont-ils revenus des camps de la mort ? Pourquoi des destinées particulièrement hostiles n'ont pas empêché aux sujets concernés de se relever, de redresser la tête et de progresser ? Ces interrogations logiques - que nous avons quand le sort semble s'acharner - ne permettent cependant pas de déceler " la " raison et nos réponses, quand il y en a, ne sont qu'hypothèses, laissant de fait le goût amer de l'insatisfaction...

Le courage - sans exception - des enfants malades ou issus d'un milieu familial difficile est une piste à suivre. Il y a près de 45 ans, je découvrais pour des raisons professionnelles l'univers douloureux de très jeunes cancéreux. En fait, ce qui m'a profondément marquée, c'est qu'ils acceptaient sans se plaindre toutes les contraintes liées à leur maladie. Ils ne discutaient pas ce que les adultes appellent une injustice. Ils interrogeaient le personnel sur les soins prodigués mais sans angoisse, s'appropriant l'instant présent comme un terrain nouveau pouvant donner libre cours à des découvertes totalement inconnues d'eux jusque-là. Ils se raccrochaient également à la moindre étincelle de plaisir, ne gaspillant pas leur énergie à questionner qui que ce soit sur leur devenir qui ne les intéressait pas le moins du monde...

La modification opportune des limites du moment
Est-on résilient ou devient-on résilient est une interrogation qui, à mon sens, n'a pas réellement lieu d'être, ce domaine étant d'une complexité majeure. L'apparence d'un individu n'a d'ailleurs strictement rien à voir avec ce qu'il est fondamentalement...
. Coralie, 33 ans, évoque la réaction de ses deux filles quelques mois après le décès accidentel de leur père survenu en 2009. Elles avaient alors 11 et 9 ans : " L'aînée m'avait toujours donné l'impression d'être une vraie meneuse, y compris à l'école. Sa sœur, née prématurément, était fluette depuis sa naissance. Quand mon mari est décédé, ma grande ne s'est plus amusée et mangeait de moins en moins ; progressivement, elle a démarré une anorexie qui dure encore. La petite s'est concentrée sur ses poupées, sur son poupon en particulier, et sur notre caniche. Elle a grossi raisonnablement à partir de là ! De toute manière, entre une qui se met en danger et l'autre qui a un courage invraisemblable, je ne peux pas baisser les bras. "...
La plus jeune des fillettes a échappé à la culpabilité inconsciente et à ses conséquences néfastes pour des raisons innées et insondables, atout structural qui lui a permis de modifier à sa guise, et pour ne pas souffrir, l'histoire de sa famille de par l'absence du père. Ainsi a-t-elle réorganisé son quotidien en se projetant dans ses jouets et dans son chien. Son aînée a fait l'inverse par inconscient interposé : dans le fantasme, " Je ne mangerai pas tant que Papa ne sera pas arrivé ", mêlant ainsi un reliquat d'éducation à un espoir vain. " Équilibre est synonyme d'activité ", rappelait du reste le psychologue Jean Piaget... Comme le soulignent de leur côté les psychothérapeutes Rosette Poletti et Barbara Dobbs, " Toute la littérature parue concernant les situations les plus graves de la vie tend à mettre en évidence que ceux qui les vivent et qui s'en sortent sont soutenus par la conviction que leur souffrance n'est pas inutile ou absurde. ". Ils en font effectivement un moteur.

Les deux facettes de la résilience
Le processus de la résilience ne peut en aucun cas entraîner d'avis lapidaire ni manichéen quant au profil psychologique d'un être humain. L'idée à ne jamais perdre de vue, c'est qu'il est absolument impossible de saisir en totale objectivité des caractéristiques telles que la volonté, la solidité, l'assurance, la vitalité, l'endurance, le courage, l'efficacité, la détermination. Par conséquent, il est une erreur d'en auréoler certains et d'en déposséder d'autres par une simple observation, fatalement teintée de jugement...
. Bernadette, 58 ans, fonctionnaire, est en dépression depuis qu'elle a divorcé : " J'ai demandé le divorce après avoir tout essayé pour sortir mon mari de son alcoolisme. Je ne sais pas comment il n'est pas mort avec les doses ahurissantes qu'il ingurgitait chaque jour ! Mon fils et moi souffrions énormément de sa maladie. Après notre séparation, il est parti en cure de désintoxication imaginant que je changerais d'opinion. Mais ma décision était définitive. C'est lors de cette cure qu'il a rencontré sa nouvelle compagne, une infirmière avec laquelle il file maintenant le parfait amour. Ils ont même une petite fille et moi je suis sous anxiolytiques ! J'ai perdu ma santé avec mon couple... "...
Si les binômes affectifs bourreau-victime existent, le témoignage de Bernadette illustre la difficulté d'appréhender le fonctionnement souvent surprenant des pulsions de vie et des pulsions de mort. Indépendamment du fait que cette femme a construit, inconsciemment, une " identification à l'agresseur ", expression parlante d'Anna Freud, sa capacité résiliente n'était certainement pas aussi puissante que ce qu'elle le croyait. Paradoxalement, son ex-époux, par un sursaut inattendu, a pu mobiliser suffisamment d'énergie pour saisir de quoi continuer à avancer... La renaissance d'un individu est là aussi seulement une impression car il est bien évident qu'un alcoolique, pour rester dans ce cas clinique, n'est jamais tout mauvais. Il est en chemin comme quiconque, apportant lors de passages de son existence sa pierre à son propre édifice, à celui de sa famille et même de la société, ne serait-ce que sur un plan de la recherche médicale, mais encore faut-il, pour l'authentifier, acquérir la lucidité de voir les leçons qui émergent de chaque peine, de chaque tracas... Le prêtre Julien Sleigh nous interroge sur cet axe essentiel de résilience : " Êtes-vous en mesure d'éprouver de la gratitude, de la reconnaissance envers le déroulement de votre vie ? ". Il poursuit : " La reconnaissance est d'un grand secours pour accepter ce qui a été et ce qui peut advenir. Pouvez-vous remercier ceux qui vous ont bouleversé ou blessé ? Pouvez-vous être reconnaissant envers une destinée qui vous a apporté des deuils ou des accidents, mais qui vous a permis d'entrer plus intimement en contact avec vous-même ? Pouvez-vous être reconnaissant pour la persévérance qui vous a permis de supporter la douleur jusqu'à ce que vous soyez capable de la transformer ? "... C'est de la sorte que la résilience, potentiellement à disposition, élimine la plus petite parcelle de colère, de haine, de ressentiment mais elle l'aura remaniée, refondue et façonnée en combativité...

 

* À lire :
- " La résilience ", Rosette Poletti et Barbara Dobbs,
Éditions Jouvence.
- " Faire face à ses problèmes ", Julian Sleigh,
Éditions Jouvence.

 

 

 

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