La projection est un mécanisme de défense redoutable. Si on le retrouve dans des réactions très graves comme celles du paranoïaque, il peut agir aussi chez les personnes superstitieuses. Ceci étant, il se manifeste dans tout jugement subjectif, excluant par conséquent la plus mince tentative d'analyse...

La projection, inhérente à l'être humain, connaît cependant des différences notables entre individus, tant par son intensité que par ses champs électifs. Le sujet réagit de façon négative en fonction des points de fixation douloureux de sa petite enfance qui sont restés intériorisés parce qu'en quelque sorte, ils n'ont pas mûri. Ainsi projette-t-il ce qui le fait souffrir inconsciemment sur un bouc émissaire qui changera au gré de l'existence et des circonstances.

L'adversité intériorisée
La vie inconsciente, dans ses fondements, représente paradoxalement une grande difficulté : le psychisme doit se démêler de fantasmes sédimentés au nom d'une incompréhension liée à une immaturité pulsionnelle, une fidélité aux diktats familiaux et donc filiaux, un désir d'exister au nom de ce qu'il est. Entre autres. Cette lutte intérieure fabrique des complexes qui perturbent l'état psychologique, poussant l'individu à ne voir qu'une seule issue : s'en débarrasser...
. Karine*, 46 ans, secrétaire de mairie, a compris en thérapie la raison des nombreux désaccords qu'elle avait avec son voisin : " J'ai longtemps cru par exemple qu'il faisait exprès de passer sa tondeuse le dimanche matin pour m'empêcher de dormir ! Une séance a été très importante pour moi. C'est celle où j'ai réalisé que mon père, croyant et pratiquant, ne voulait pas que je manque la messe. En fait, j'imaginais qu'il ne supportait pas que je fasse la grasse matinée. J'avais l'impression qu'il venait me réveiller brutalement, alors qu'en y réfléchissant, ce n'était pas le cas. Je n'étais pas bien à l'église. Je m'ennuyais pendant l'office et je voulais rester à la maison. J'espérais toujours qu'il baisse les bras devant ma résistance... "... Ainsi, Sigmund Freud explique que la projection est en fait une réalité psychique qui n'a strictement rien à voir avec le réalisme et qui suggère au sujet de trouver à l'extérieur de lui la cause de ses affects !

La libération
Projeter n'est pas se libérer. Effectivement, contrairement aux pulsions instinctives, affubler l'entourage de la responsabilité de ses actes déviants accroît la souffrance...
. David*, 33 ans, cadre, du plus loin qu'il se souvienne, a systématiquement accusé ses proches de ses écueils, jusqu'à ses déboires sentimentaux : " Chaque fois que j'étais plaqué par une petite amie, je me disais que c'était de la faute de mes parents que je trouvais intolérants. Ce qui m'a réveillé, c'est le jour où j'ai vu ma mère pleurer quand je lui ai annoncé ma rupture avec Blanche*. Elle m'a alors dit combien elle allait la regretter. Le ciel m'est tombé sur la tête. J'ai senti que le problème était en moi et qu'il fallait que je consulte un psychothérapeute. "...
Cette prise de conscience revêt une dimension salvatrice : chacun retrouve sa juste place, pouvant dès lors envisager son chemin de vie comme le concernant en premier lieu. Une véritable délivrance opère dans la mesure où il devient possible de prendre son propre gouvernail et d'affronter les apprentissages que suggère le quotidien. " Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage ", affirmait déjà plus de 400 ans avant Jésus-Christ le subtil homme d'État Périclès... Certes, ce défi vis-à-vis de soi-même peut sembler une gageure en son essence mais, relevé, le bénéfice est grand : rester ouvert en permanence aux messages que l'inconscient, devenant notre allié le plus fiable, nous adresse...

* Par éthique professionnelle, les prénoms utilisés dans cet article ont été changés.