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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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La chirurgie esthétique
peut-elle se mettre sans risque
au service de la différence ?


Le recours à la chirurgie esthétique pose problème dans la mesure où l'acte en lui-même touche à l'ambivalence ; il y a à la fois une demande de réparation et, par ailleurs, la recherche inconsciente d'une auto-punition où se confondent allègrement soin thérapeutique et soin esthétique. Il s'agit dans tous les cas d'un désir de changement mais suffisamment mal identifié pour qu'il y ait déplacement d'un processus inconscient sur une zone corporelle choisie fantasmatiquement par d'habiles formations de compromis. Sans prise en charge psychologique préopératoire, le sujet n'atteindra jamais, ou très rarement, le sentiment de satisfaction, d'où des demandes récurrentes et non justifiées auprès des chirurgiens esthétiques dès l'instant où l'engrenage est lancé. Un réel problème d'éthique intervient dès lors qu'il s'agit d'évaluer l'ampleur du traumatisme décrit par les patients candidats à une transformation. Si une certaine catégorie de consultations relève d'une chirurgie réparatrice, une extrême prudence doit accompagner des demandes plus discutables qui expriment essentiellement un besoin de reconnaissance...

Christian me présenta, lors d'un séminaire de psychanalyse, ce chirurgien esthétique. Celui-ci me glissa rapidement dans la conversation son inquiétude devant des demandes de chirurgie réparatrice pathologiques de plus en plus importantes. Il me dit avoir éprouvé le besoin de suivre une psychanalyse personnelle, alors terminée, afin d'être en accord avec lui-même dans une spécificité professionnelle où des déviations sont toujours possibles ; effectivement, l'influence médiatique banalise ce métier qui, au départ, s'adresse à des sujets porteurs de déformations objectives, qu’elles soient séquellaires ou pas. Nous partagions le même avis quant à l'ambiguïté de certaines demandes qui pouvaient falsifier une indication justifiée mais d'ordre... psychologique et non physique.

Sylvie
Le chirurgien esthétique me téléphona quelques jours plus tard pour me parler de Sylvie chez laquelle il avait réalisé un lifting cervico-facial avec, selon lui, un excellent résultat. Et pourtant, la patiente, qu'il pensait hystérique, insistait pour qu'il effectue une reprise nasale ; elle jugeait maintenant son nez beaucoup trop long, prétextant que le remodelage de son visage faisait saillir son appendice nasal. Il avait l'intention de lui parler de moi mais il avait préféré me prévenir auparavant ; même si Sylvie acceptait le principe d'une démarche psychanalytique préliminaire à une réitération chirurgicale, il savait que le contact serait difficile. Elle prit bien rendez-vous et, curieusement, présenta les choses à sa façon...
Je dois me faire opérer, comme a dû vous le dire le Docteur D. ; j'ai une peur phobique de l'anesthésie...
Je ne m'attendais pas a cette entrée en matière. L'entretien commençait par un évitement et l'analysante projetait déjà sur moi son manque de confiance en elle. Je la laissai parler. Elle passa la séance à évoquer le souvenir insupportable d'une appendicectomie subie à l'âge de sept ans ; elle avait été endormie à l'éther et la possibilité d'une nouvelle intervention lui donnait la nausée... Cependant, elle ne me parla a aucun moment ce jour-là de son lifting initial et me confia avoir envie depuis longtemps de suivre une analyse qu'elle désirait maintenant commencer au plus vite. Les entretiens mettaient en évidence un narcissisme défaillant et elle m'apprit qu'elle n'avait jamais connu son père, tué pendant la seconde guerre mondiale. Selon elle, sa mère, jouant les rôles maternel et paternel, constituait depuis toujours une sorte de fonction référentielle vitale. Son discours prouvait, à l'inverse, que la mère n'avait jamais pu réaliser le travail de deuil nécessaire à une libération suffisante pour elle-même et sa fille unique. La vie sentimentale mouvementée de Sylvie soulignait qu'elle avait depuis toujours pour fonction d'occulter la perte objectale, c'est-à-dire la mort du père. Sylvie m'annonça de façon lapidaire qu'elle avait quelque chose à m'avouer mais qu'elle n'y parvenait pas. Elle réfléchit longuement...
Oh que je suis stupide !... Vous pouvez tout entendre... Eh bien voilà, je suis amoureuse de mon chirurgien esthétique ;tous mes fantasmes les plus fous se portent vers lui et il occupe tous mes rêves... Je sais que vous vous connaissez bien, qu'en dites-vous ?
Silence de ma part.
Vous ne me répondez pas parce qu'il est marié...
Deuxième non-réponse.
Mais je sais qu'il a des problèmes de couple... Le bruit court que vous travaillez ensemble...
Elle cherchait ses limites, je les lui assenai à cet instant précis :
Vous vous intéressez aux bruits qui courent ? 
Non, non, bien sûr, vous n'avez pas compris ce que j'insinuais...
Elle rebondit sur ma castration :
Je sais que vous organisez des séminaires tous les deux et j'avais pensé que vous me diriez sincèrement si je suis dans le fantasme ou s'il m'a adressée à vous parce qu'il s'intéresse un peu à moi... Ce qui me fait dire cela c'est qu'il aurait pu me réopérer d'emblée, c'était son intérêt...
Le Docteur D. ne jugeait pas utile une reprise chirurgicale, il a dû vous le signifier...
- Alors, il vous a dit que je n'en avais pas besoin... Il ne m'a pas menti...
Sylvie se vivait trahie en permanence par l'homme, comme elle fantasmait que son père l'avait trahie en décédant quelques semaines avant sa naissance. La demande chirurgicale – comme la plainte médicale – exprime toujours, de toute façon, un conflit inconscient. La dramatisation esthétique ne peut en aucun cas être ignorée car elle renvoie systématiquement à un Moi faible et culpabilisé d'une histoire dont le sujet a hérité malgré lui. L'individu s'inflige comme une épreuve la rencontre avec le scalpel, automutilation que le transsexuel recherche aussi, revendiquant une castration physique, la pulsion de mort gérant sa pénible existence.

Stéphane
C'est ce même chirurgien qui m'adressa Stéphane... Éoniste, Stéphane me confia qu'avec des amis travestis il organisait des soirées costumées ou, seules les parures féminines étaient admises. Il voulait me convaincre de sa féminité. Il avait obtenu d'un médecin des traitements hormonaux mais il attendait maintenant une chirurgie correctrice que deux chirurgiens lui avaient déjà refusée. Il développait une mélancolie inquiétante, soutenant à qui de droit que seul un changement de prénom pourrait le sortir de son état dépressif.
Je sais que je finirai par me suicider si mon État Civil ne change pas...
Je m'intéressai alors au prénom qu'il aimerait porter si...
Séphora, lâcha-t-il sans la moindre hésitation.
Il ne savait pas pourquoi au juste, ça sonnait bien et puis l'euphonie ne l'éloignait pas trop de son prénom masculin... Ainsi, son prénom, qu'il ne rejetait donc pas en totalité, constituait-il le symptôme. Il m'apprit, par la suite, qu'il portait le prénom d'une cousine germaine décédée de mort subite du nourrisson deux ans avant sa naissance. Son comportement transexuel traduisait uniquement une déficience identitaire par processus identificatoire filial et non une anomalie de la sexualité. Cependant, Stéphane menait sa vie à la roulette russe et était toujours suicidaire. Il perdait régulièrement les rares petits emplois qu'il trouvait, ce qui n'arrangeait rien. Je savais qu'il avait fait un peu de théâtre-amateur et j'eus l'idée de lui parler de psychodrame. Stéphane, soucieux de se sortir de son désarroi, consulta un psychodramatiste ; il suivit ensuite une formation complète en art-thérapie, ce qui lui permit de remonter sur les planches, professionnellement cette fois et en Belgique. Ce charmant garçon est venu me saluer avant son départ. Il me rappela les séances répétitives durant lesquelles il se lamentait de ne pouvoir garder les boulots qu'il trouvait alors. Il reconnut avoir emprunté un sillon bien complexe pour trouver sa voie mais il acceptait et valorisait même ce parcours peu commode qui lui a fait prendre conscience de ce qui se logeait véritablement au fond de lui.

L'existence humaine n'est ni belle, ni laide. À nous de ne pas déformer le miroir en utilisant des critères sans réel fondement. Certes, ne plus souffrir du regard de l'autre demande beaucoup de courage mais cela demande essentiellement une prise en compte de la distance afin de ne pas tomber sous le joug des conseilleurs qui n'ont, à aujourd'hui encore, jamais été les payeurs...

 

 

 

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