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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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La drogue du viol

Il y a près de dix ans maintenant qu’un de mes patients, haut fonctionnaire de police, m’expliquait son inquiétude quant à un produit stupéfiant, inodore et quasiment sans saveur qui, ajouté à une boisson alcoolisée de quelque type que ce soit, entraîne une soumission à l’agresseur (déguisé) ; c’est ainsi qu’il parlait alors – sans le nommer – d’un acide qui, utilisé de façon perverse par un bourreau, peut déboucher sur des viols et/ou des vols ; il s’agit du GHB auquel les médias s’intéressent de plus en plus, à juste titre.

Scientifiquement, le GHB est l’acide gamma hydro butyrique. C’est Henri Laborit, biologiste, qui a mis au jour la spécificité de ce produit et ce, en 1960. Cet acide présente la particularité d’agir sur le système nerveux en intervenant, entre autres, sur des réactions d’excitation pathologique qu’il atténue, ou sur des terrains angoissés, obtenant dans les deux cas une réponse « satisfaisante ».

La perversion existe
Surveillance ou pas, la perversion existe et les raves-parties ont contribué à relancer toute la problématique liée à cette substance qui présente donc l’inconvénient de passer inaperçue. Car, si le GHB a un arrière-goût de médicament, noyé dans de l’alcool ou du soda bien alcoolisé, il devient indécelable pour la victime. Cependant, il semblerait, d’après une étude française, que les ravers ne soient pas, actuellement, de très gros consommateurs de cette substance toxique. Le danger reste quand même entier dans la mesure où cette drogue peut se procurer relativement aisément, en particulier aux Pays-Bas, d’autant plus que le GHB découle d’un produit solvant utilisé pour décaper la peinture ! Présenté également comme un puissant stimulant au service de la sexualité, une « publicité » glauque s’est donc développée autour de cet anabolisant. La vulnérabilité engendrée par cette substance reste variable d’un individu à un autre, aussi bien compte tenu de la taille et du poids du consommateur involontaire ou volontaire mais, aussi, en raison de facteurs inconscients inhérents au sujet qui ingère le GHB, facteurs psychologiques différant d’une personne à une autre. Même si le GHB n’est aujourd’hui baptisé « drogue du viol » que s’il se trouve associé au Rohypnol, il n’en demeure pas moins un danger à lui seul puisque l’individu perd en quasi-totalité la maîtrise de lui-même. Sous l’emprise du GHB, on ne contrôle plus sa vie, ses désirs, sa raison. Au niveau de certaines caractéristiques de cette substance, il est aisé de comprendre l’attirance de quelques-uns (beaucoup trop...) pour elle. À l’inverse de l’alcool, la récupération de l’individu reste supportable et l’effet « bénéfique », apaisant, désangoissant, apparaît moins d’un quart d’heure après son ingestion ! Après quelques heures (moins de dix en moyenne), le GHB ne laisse pratiquement plus de trace : c’est comme si rien ne s’était passé... Mais il est bien ici le piège redoutable puisqu’il ne s’agit pas que certaines populations de la nuit, dites branchées, en oublient que de ces choses-là, on peut mourir... Outre des vomissements qui peuvent intervenir, outre du roulis et du tangage (un peu comme dans le ventre de la mèr(e) !, cet état d’ivresse recherché (inconsciemment et/ou consciemment) a un écho refoulé. En psychanalyse, effectivement, à l’éclairage de ces comportements de fuite, on peut en déduire une recherche de toute-puissance. Mais, qui dit toute-puissance, dit complexe et surtout régression selon un processus hallucinatoire. De fait, l’analyse sera formelle et attestera, une fois encore et comme toujours, que l’individu n’est pas drogué par hasard, ce qui rejoint l’adage : Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es. Autrement formulé, on ne rencontre pas son bourreau au hasard de coïncidences. Cependant, cette incitation à consommer ce produit ne marchera pas systématiquement (et c’est heureux).

Une conduite à tenir
Si un sujet fatigué, fragilisé, dépressif, se trouve en boîte un samedi soir, il pourra être plus facilement repéré par l’agresseur. Ainsi, les attitudes de la future victime interpelleront le pervers qui, passé dans ce cas maître en hystérie de séduction, endormira déjà sa proie (facile) tenant dès lors des propos rassurants, voire charmeurs, sortant la panoplie la plus complète de compliments. Tout cela doit déjà permettre la mise en place d’une certaine vigilance car qui trop embrasse mal étreint ; en d’autres termes, courage fuyons devant une avalanche de phrases séductrices prononcées par un inconnu. Trop c’est trop ! Voilà le premier déclic élémentaire à avoir. Cependant, le principe même de l’emploi simple du GHB met l’ensemble de notre société face à une forme d’impuissance. Effectivement, imaginons que le propriétaire d’une discothèque écoule lui-même le toxique ; dans cet exemple précis, le slogan maintenant connu d’une campagne préventive « Buvons couvert » n’apporte pas de solution suffisante, au même titre d’ailleurs qu’exiger que les bouteilles soient décapsulées devant le consommateur ; là encore, une manœuvre sadique reste aisée, le pervers pouvant décapsuler la bouteille à l’insu de la victime et faire croire, par une habile dextérité, à l’utilisation d’une bouteille neuve... D’autre part, et on peut le comprendre aussi, quel propriétaire d’établissement de ce type accepterait d’entrer dans ce système, tout aussi rassurant (en apparence) soit-il ? Enfin, il reste difficile de systématiquement emmener avec soi sa boisson sur la piste de danse !

Des questions incontournables…
Alors, pourquoi toutes ces attitudes négatives, meurtrières, dans des collectivités humaines qui se disent évoluées ? Que cherche l’individu destructeur ou autodestructeur ? Qu’est-ce qui l’amène, le pousse spécifiquement dans le registre du GHB pour nuire à la découverte (scientifique) d’un grand chercheur ? Que signifient ces profils immatures qui, face au père protecteur (c’est-à-dire celui qui s’efforce d’aider, de protéger ses enfants), de par leurs comportements nuisibles, toxiques, finissent par rendre méfiant face à des travaux altruistes, d’intérêts médicaux. Il est à noter que le GHB a été utilisé largement en obstétrique (notamment dans les cas d’anesthésie pour des césariennes) et pour des actes chirurgicaux en tant qu’anesthésiant local. La chirurgie s’en sépare maintenant progressivement, compte tenu des risques objectifs potentiels comme, en particulier, un déséquilibre au niveau potassium et une lenteur à l’action anesthésiante. Si son coût peu élevé a entamé par ailleurs peu à peu l’enthousiasme des pharmaciens, ceux-ci se trouvaient aussi sensibilisés par une possible consommation excessive hors champ médical. Mais, encore une fois, qu’est-ce qui peut donc animer un être (humain ?) à récupérer le produit d’un travail colossal de compétences, pour en faire une violence de plus dans une société contemporaine en proie à des actes de barbarie qui se multiplient à un rythme inquiétant ?
Il est une évidence que la gravité de la situation donne à comprendre qu’il y a des messages à décoder, aussi bien du côté des victimes que des bourreaux, les uns et les autres étant alors pris dans un système collectif qui abuse et les adolescents et les très jeunes gens. Il y a plus de trente ans que l’on explique aux parents et aux élèves qu’à « Bac +... », il devient (plus) facile de trouver un emploi. Il serait intéressant de comptabiliser les « Bac +... » sans travail ! Les « 35 heures » n’échappent pas à cette politique du leurre car comment occuper (intelligemment) tout ce temps libre lorsque l’on gagne le SMIC ? Quant à la publicité, qu’il s’agisse de la télévision ou de grands groupes commerciaux, eux aussi proposent et vendent du rêve qui tourne souvent au cauchemar. Serait-ce dire que l’inconscient de tout un chacun a pris l’habitude de fabriquer du fantasme à tout va, d’autant qu’en tant qu’être de plaisir, l’individu a une réelle propension à se vautrer dans du plaisir suggéré en première intention ? Mais alors, comment ne pas être sous influence, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une substance attrayante, aux performances idéales comme l’explicitent les fournisseurs de GHB ?
Il s’agit, d’un point de vue psychanalytique, de choisir de ne plus s’étayer. D’une façon simplifiée, il faut réaliser que prendre du plaisir passe essentiellement par soi dans un premier élan réflexe. Il est vrai que l’humain a du mal avec cette démarche mature dans la mesure où dès qu’il vient au monde, il retrouve partiellement (inconsciemment) l’état quasi paradisiaque connu dans la période intra-utérine, en tétant ; effectivement, la région buccale, en particulier le pourtour labial, est une zone érogène qui, au contact du sein de la mère, lui procure mnésiquement une sensation de plaisir ; ainsi, structuralement, et de façon quasi-instinctive, avons-nous une tendance à fantasmer que l’autre est le meilleur médiateur au service de ce que la psychanalyse nomme jouissance. Cette attitude fantasmatique archaïque, primaire, ce réflexe, peut constituer, s’il n’est pas sublimé, dépassé, le plus grand des pièges, notamment en matière de dépendance de tout ordre. Alors, en sortir, oui, mais comment de façon concrète ?
Freud a mis l’accent, pour devenir autonome, sur la nécessité de diriger ses pulsions instinctives de plaisir vers des actes socialisants, afin que chacun d’entre nous prenne conscience de ses capacités à faire, meilleur axe de renarcissisation. Cherchons à identifier nos désirs professionnels et si, déjà, une première authentification apparaît, nous savons que nous sommes dans la bonne direction. Tout le monde a la capacité de déclencher son imaginaire, précieux indicateur de bon ou de mauvais sens quant à soi. Si la direction semble juste, appropriée, l’énergie positive arrive à la conscience ; dans le cas contraire, la libido reste insuffisante, nous faisant ainsi comprendre que nous faisons fausse route... Pour le GHB, il en va de même : et si tout dealer ou tout consommateur (volontaire ou involontaire) abritait à l’intérieur de lui un chercheur qui s’ignore ? Autrement formulé, être à sa place dans la société nécessite une réflexion préalable, voire beaucoup d’interrogations car une chose est sûre : le GHB a ses limites (destructrices) dans la mesure où ce toxique, puissant sédatif, ne peut concerner un sujet en éveil de soi et ainsi des autres...

 

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