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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Évelyne Bouix,

 
 

carpe diem

C’est au théâtre Edouard VII qu’Évelyne Bouix nous a reçus, espace scénique qu’elle connaît bien pour y avoir joué pendant plusieurs mois, en compagnie de Pierre Arditi (son compagnon dans la vie), la pièce “ Lune de miel, lune de fiel ”. Cette comédie, modernisée par Eric-Emmanuel Schmitt, reprend le 14 septembre. Même endroit, mêmes acteurs. Le prétexte pour nous de faire des allers-retours entre rôle et vie avec cette actrice étonnante de sincérité. On pourrait imaginer que sa frêle silhouette cache de grandes fragilités. Il n’en  est rien. Vive, gaie, bavarde, Évelyne se livre avec une authenticité sans détours. Au rendez-vous : force tranquille, subtil déterminisme, charme redoutable. Du vrai bonheur.

Psychanalyse Magazine : Quelles sont les grandes lignes de cette pièce ?
Évelyne Bouix : Le thème, c’est “ Ni avec toi, ni sans toi ”, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un couple qui s’est adoré mais la vie de ce couple est devenue trop fatigante parce qu’il évolue dans l’amour-passion ; le moindre problème, le moindre dérapage, font qu’il y a conflit… Dans l’heure d’après, les deux partenaires s’adorent, s’aiment ; c’est le bonheur mais c’est épuisant ! À mon avis, on ne peut pas vivre ainsi, sur la longueur ; d’ailleurs ces deux-là se séparent et se remarient, plus tard, chacun de leur côté avec un conjoint beaucoup plus calme, beaucoup plus dans la norme. Ces deux nouveaux couples vont se retrouver le soir de leur lune de miel dans le même hôtel par le plus grand des hasards ! C’est un prétexte à une comédie assez délirante car les deux éléments du premier couple vont se remettre d’accord sur le dos des autres…

P. M. : La sincérité, la fidélité dans le couple, vous y croyez ?
E. B. : Je pense qu’il y a forcément sur un long parcours des dérapages. Cependant, on ne peut pas vivre une vie de trahisons répétitives. Mais je crois qu’on ne peut pas se dire raisonnablement que les gens qui vivent ensemble très longtemps n’ont jamais été émus par quelqu’un d’autre. Personnellement, je peux aussi être troublée par une femme, quelqu’un peut m’émouvoir et pas forcément quelqu’un de masculin.

P. M. : La femme du XXIème siècle s’autorise-t-elle plus de liberté ?
E. B. :Oui, assurément.

P. M. : Trouvez-vous qu’au fil du temps la femme a “ gagné ” ?
E. B. : La femme a gagné de toute façon par rapport à ce qu’elle avait avant mais, essentiellement, dans certains milieux très privilégiés ; encore qu’elle n’ait pas gagné sur tout… C’est encore très élitiste ; je ne pense pas que toute la population soit à cette image-là.

P. M. : Êtes-vous une bosseuse ?
E. B. : Au théâtre, oui, mais si on parle de cinéma, dans ce registre je suis instinctive : je m’empare du script, je le lis plusieurs fois, je m’imagine dedans, je m’y projette et puis je me nourris sans m’en apercevoir… Et la première prise est souvent la meilleure. Au théâtre, pas du tout ; au théâtre, il faut que je bosse d’arrache-pied : c’est beaucoup plus difficile pour moi.

P. M. : Pour quelle raison ?
E. B. : Le public me fait peur et, en même temps, c’est magnifique. Le travail est plus douloureux pour arriver à construire le personnage qu’au cinéma. Au cinéma, ce sont de petits bouts, au théâtre il y a une continuité, une force, le rythme n’est pas le même ; il faut en parallèle être dans l’intimité et projeter des émotions. Au théâtre, on a aussi un autre partenaire et pas des moindres : c’est le public, en particulier dans la comédie. On se répond, c’est un échange, il y a une respiration ; si les gens rient, il faut attendre ; on joue, on vous sent, alors qu’au cinéma, il y a le réalisateur et, maintenant, le plus souvent il est devant son combo. C’est vraiment une autre relation, c’est le même métier et, à la fois, ce n’est pas la même profession.

P. M. : Revenons à la gent féminine : que pensez-vous de la femme d’aujourd’hui ?
E. B. : Les femmes mettent les pendules à l’heure et vont chercher jusqu’au bout des choses.

P. M. : Croyez-vous en certaines vertus, comme la complicité, pour que le couple dure ?
E. B. : Ah oui, j’y crois énormément ; je crois aussi qu’il faut avoir des vues très différentes. Je pense, pour que le couple tienne, que l’on doit être exactement comme on est et ne rien changer justement à ce que l’on est. Il ne faut pas faire abstraction de ce que l’on est profondément, tout en sachant composer… Il est nécessaire de garder son énergie et son propre rythme biologique. Si on se met au diapason de l’autre, ça ne peut pas durer et on est malheureux ; je pense donc que chacun doit garder sa dynamique, tout en s’adaptant, pour qu’il y ait une belle énergie qui circule au centre du couple. C’est primordial pour la longévité du couple.

P. M. : L’écoute de l’autre se travaille ?
E. B. : Oui, et maintenir le dialogue reste essentiel, même en cas de désaccord. Personnellement, je suis contre le non-dit, et avec tout le monde, les amis, les enfants… Les non-dits sont lourds à porter et générateurs de malentendus.

P. M. : Qu’est-ce qui peut vous faire sortir de vos gonds dans le couple?
E. B. : Pierre regarde souvent la télé en boucle, il est complètement imbibé de ça ; au bout d’un moment, j’en suis agacée et s’il commence à me parler comme si j’étais journaliste, je lui dis que je m’en fous ; on peut alors s’engueuler…

P. M. : Pourtant, vous avez des combats ?
E. B. : Oui, je suis touchée par des causes mais la politique m’ennuie profondément.

P. M. : Quelles sont les grandes causes qui vous émeuvent ?
E. B. : Les gens blessés par la vie, laissés sur le carreau, les enfants maltraités…

P. M. : Oeuvrez-vous dans ce sens ?
E. B. :  Assurément, mais je le fais par des chemins détournés, c’est ponctuel. Je peux envoyer de l’argent à certains organismes mais je ne suis pas à la tête d’une association. Je préfère envoyer des dons par rapport à des choses comme le sida, mais je n’ai pas envie d’être à la tête d’une cause précise ; j’y ai pensé… Je sais aussi qu’il y a beaucoup à faire. Si je peux m’engager ponctuellement, je peux cependant changer de cause.

P. M. : Vous fonctionnez au coup de cœur ?
E. B. : Oui, je suis d’une grande infidélité dans ce domaine !

P. M. : Ceci est-il le reflet d’une certaine adaptabilité chez vous ? Abordez-vous facilement les changements dans l’existence ?
E. B. : Non, parce que je suis taureau et très terrienne, très ancrée… J’aime plutôt les choses à répétition.

P. M. : Peut-on vous dire conservatrice ?
E. B. : Pas conservatrice parce que si je fais ce métier, c’est justement pour avoir des vies différentes tout le temps, pouvoir voyager et rencontrer des gens de tous horizons. C’est, de fait, un métier génial mais en même temps, je sais que j’ai besoin de certains rituels ; j’ai besoin d’être rassurée, donc je ne m’adapte pas facilement à tout non plus ; cependant, on est tous antagonistes : je peux aller au bout du monde avec un balluchon et j’aime aussi les hôtels de luxe. Dans ce sens-là, je m’adapte ; si on me demande de faire du camping – j’en ai fait toute ma jeunesse –, je suis d’accord pour repartir en camping ; on me parle d’un hôtel sublime, j’y vais ; tout me va, j’aime la vie sous toutes ses formes. J’aime la nature mais aussi le raffinement extrême.

P. M. : Si vous aviez un bilan de votre existence à faire, quel serait-il ?
E. B. : Je ne pense jamais à ça, je ne saurais pas vous dire…

P. M. : Vivez-vous un peu au jour le jour ?
E. B. : Avant, j’essayais de me protéger, tout le temps, et puis ça ne m’allait pas parce que j’étais toujours frustrée. Les événements n’arrivaient pas comme je voulais, jusqu’au jour où je me suis dit : Arrête et vis dans le présent !

P. M. : La sagesse, en fait ?
E. B. : Oui… Je ne suis pas, en revanche, passéiste. J’ai fait un travail sur moi, une thérapie, et maintenant, je me sens bien en m’ancrant dans ce que je traverse au moment présent.

P. M. : Pensez-vous que la vie vous a plutôt gâtée ?
E. B. : Oui dans l’ensemble mais, malgré tout, je pense qu’on y contribue aussi. La vie ne m’a pas “ toujours ” gâtée mais je sais apprécier quand elle me gâte. Je suis  reconnaissante, je sais reconnaître les choses qui sont positives et m’en réjouir ; tout n’est pas dû, les choses ne sont jamais dues, jamais acquises, jamais…

Interview réalisée pour Psychanalyse Magazine en septembre 2004.

 

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