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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Jacques Salomé

 
 

un passeur de vie…

Après un parcours “ labyrinthe ” qui est allé de la comptabilité à la psychologie, en passant par la sculpture et la poterie, Jacques Salomé a dirigé une Maison d'enfants pendant quinze ans. Il s'est donc passionné pour les relations humaines en découvrant que les êtres humains étaient, selon lui, des infirmes pour la plupart et cela en raison du type d'éducation reçue. Jacques Salomé, auteur d'ouvrages célèbres, a écrit trente-deux livres, organisé des stages et des séminaires qui ont vu défiler, selon sa secrétaire, plus de soixante-deux mille personnes en trente ans ! Jacques Salomé se dit “ enfant de la psychanalyse ”, a été psychanalysé et est resté marié vingt ans à une psychanalyste... Il est, par ailleurs, père d'une famille de cinq enfants dont il dit que ce sont eux, en fait et surtout, qui l'ont bousculé, dérangé dans ses certitudes et ses croyances. Jacques Salomé a également créé la “ Méthode Espère ”, méthode pédagogique qui a l'ambition d'inviter les gens à apprendre à communiquer autrement, d'acquérir des “ règles d'hygiène relationnelle ”, d'autant qu'il souligne qu'à titre personnel, il a longtemps pratiqué les deux grands pièges du comportement humain : l'accusation de l'autre et l'auto-dévalorisation...

Jacques Salomé : Freud n'a pas eu d'analyste ; il a pioché dans son inconscient avec beaucoup d'angoisse et d'errances aussi ; cet homme a été un passeur de vie pour beaucoup. Ce que les héritiers et disciples font de la psychanalyse, c'est autre chose ; il y a, à la fois, les gardiens du temple et puis, toutes les déviations.

Psychanalyse Magazine : Qu'est-ce qui vous a fait connaître ?
J. S.  : Ce sont mes livres. Je suis un auteur populaire et je le vis avec simplicité. Ont été édités quelques trois millions d'exemplaires. Le domaine dans lequel j'écris n'est pas courant, contrairement à ce que les gens pensent. Un roman a 1,2 coefficient de lecture, mes livres ont un coefficient de lecture de 5,6. Ce sont les chiffres d'une enquête réalisée par la FNAC et les bibliothèques municipales... Une de mes filles, qui est dans la communication, me disait : Tu n'es pas célèbre, tu es populaire... Je lui ai demandé la différence et elle m'a répondu que quelqu'un de célèbre est quelqu'un d'admiré et quelqu'un de populaire est quelqu'un d'aimé. Je vois, d'ailleurs, dans les témoignages que je reçois ou dans les salons de livres, puisque je ne fais plus de stages, que mes lecteurs viennent avec beaucoup de reconnaissance ; j'ai une grande gratitude envers eux. Je suis émerveillé de ce que font les femmes et les hommes. Ils s'emparent d'une idée, s'en servent comme levier et changent quelque chose dans leur vie. Le travail reste à faire ; ce n'est pas le coup de baguette magique qui va régler tous les problèmes mais c'est un élément déclencheur, un focalisateur d'énergie.

P. M. : Que pensez-vous de la société d'aujourd'hui ?
J. S.  : Elle favorise une culture de la dépendance ! L'âge de la dépendance a reculé de dix ans en un siècle. Il y a cent ans, un jeune homme de 17-18 ans était capable à 80 % de subvenir à ses besoins. Aujourd'hui, vous avez de grands “ dadais ” de 26-28 ans qui sont toujours chez papa-maman, auxquels on donne de l'argent avec lequel ils vont acheter les cigarettes de leur copine ! Ces jeunes-là sont les parents de demain ! Comment vont-ils apprendre l'autonomie à leurs propres enfants ?

P. M.  : Donnez-vous une explication à ce phénomène ?
J. S. : Il y a deux mouvements en ce début du troisième millénaire ; un mouvement d'uniformisation, de nivellement, la culture Coca Cola, Mc Do, les grandes surfaces : ce sont ces entités qui décident, actuellement, de ce que l'on mangera dans cinq ans ou du nombre de mètres carrés de plage que l'on devra consommer ! Et puis, parallèlement, un mouvement plus individualiste, plus marqué chez les femmes d'ailleurs ; elles font bouger la communication depuis trente ans, tentant de se réapproprier un pouvoir de vie, faisant un travail de thérapie, d'éveil, de nettoyage de la tuyauterie relationnelle et personnelle. Les hommes sont un peu plus en retard, d'où ce décalage dans les couples. Les Américains ont calculé que la durée moyenne dans la communication du couple américain est de deux minutes et demie par jour ; en France, c'est le double mais ce n'est pas mieux. Allez dans un restaurant, vous reconnaîtrez un couple marié d'un autre : le couple marié bouffe, les autres pas ; ça ne veut pas dire qu'ils ne parlent pas mais c'est une communication fonctionnelle du genre, Tiens le bifteck est plus tendre que la fois précédente, ou Il faudra penser à mettre de l'essence dans la voiture… Ce n'est pas : Voici ce que je sens, voici ce que j'éprouve, voici ce que j'ai envie de te dire et que je ne t'ai pas encore dit… Une communication de l'ordre de l'intime, de l'ordre du partage qui fait que l'on ne sort pas de l'échange comme on y est entré ; on devrait partir avec quelque chose de plus. Ainsi assiste-t-on à une augmentation croissante de divorces dont 70 % sont demandés par les femmes, malgré leur situation économique souvent précaire ; elles se retrouvent la plupart du temps en HLM, dans un trois pièces et n'ont plus le confort de leur pavillon...

P. M. : Sont-elles plus courageuses ?
J. S.  : Oui, beaucoup plus quand on connaît les conditions dans lesquelles se passe le divorce ! Dans 30 % des cas, le mari leur fait la guerre mais elles lâchent tout pour avoir la paix. Ce n'est pas que nos désirs soient malsains, ils sont bons en général mais ils deviennent terrifiants quand ils sont imposés à l'autre, jusqu'à parfois le rendre malade. Par contre, je ne suis pas d'accord avec les analyses faites par les sociologues sur les raisons de la violence à l'école et dans les familles. Je crois que l'accélération de la violence est due au fait que les enfants d'aujourd'hui ont un seuil de frustration tellement bas que toute rencontre avec la réalité est vécue par eux comme une violence.

P. M. : Dénoncez-vous la violence à la télévision ?
J. S.  : Je ne lui donne pas l'importance qu'on veut bien lui accorder. Elle a une double fonction : une fonction cathartique car le fait de visualiser cette violence évite aussi de la mettre en jeu, et une possible fonction identificatoire. Pour ma part, je me place sur un autre plan, sur le plan énergétique que je dirais plutôt négatif avec des énergies basses. La télévision peut aussi entraîner une difficulté à communiquer. Aujourd'hui, il y a une classe de déshérités de la convivialité, de l'échange, du partage. Huit millions de personnes seules en France parlent à leur chat, à leur chien ! J'oppose communication de consommation, souvent confondue avec circulation de l'information, à communication relationnelle, celle qui me permet de me relier, qui m'amplifie, qui fait que je me rencontre parce que nous sommes fondamentalement des êtres de relation. Il y a un appauvrissement de la communication intime qui engendre une communication avec tous les autres langages virtuels. Aux Etats-Unis, on soigne les dépendances au Net. Il y a toute une pathologie qui se développe, ainsi qu'une sorte d'hémorragie vers le magique. On n'a jamais autant consulté les cartomanciennes ! Je travaille presque à contre-courant, essayant de réhabiliter l'intime, la capacité de se dire les besoins essentiels qui ne sont plus pris en compte. Lorsqu'un enfant dit qu'il est triste, il a simplement besoin d'être entendu comme étant un enfant triste. Il ne veut pas qu'on s'empare de sa tristesse pour mettre un cataplasme dessus ; il doit être entendu dans le registre où il parle, dans son “ ressenti ” et non sur des généralités : être reconnu tel que l'on est et non tel que l'autre voudrait que l'on soit, être valorisé, éprouver le sentiment d'avoir une valeur dans ce monde, une place.

P. M. : De quel type de famille êtes-vous issu ?
J. S. : Ma mère m'a eu à dix-sept ans avec un garçon de quinze ans. Elle était une enfant abandonnée de l'Assistance Publique. Ce n'est pas par hasard si j'ai fait ce métier de réconciliation. J'ai passé ma vie à réparer symboliquement les questions cachées et ouvertes de ma mère. Elle avait une qualité, c'est qu'elle parlait et j'ai toujours su que mon beau-père n'était pas mon géniteur, même si je l'appelais papa.

P. M. : Avez-vous rencontré votre père ?
J. S.  : Je l'ai retrouvé à cinquante ans. Je n'ai pas retrouvé mon père, ni mon papa, j'ai retrouvé mes origines. La deuxième fois que je l'ai vu, je lui ai dit, Je ne veux pas passer le reste de ma vie à t'accuser d'avoir abandonné maman, de ne pas t'être occupé de moi ; je voudrais te remercier pour le cadeau que tu m'as fait : la vie. Il était très ému et, plus tard, avant de mourir, il m'a dit : Tu sais il a eu cinq enfants lui aussi de tous mes enfants, tu es celui qui m'a proposé la relation la plus vivante, la meilleure pour moi… Il y avait, en lui, une forte culpabilité ; d'ailleurs, la femme qu'il a rencontrée à dix-neuf ans, après ma mère, avait deux enfants qu'il a reconnus alors qu'il n'avait pas pu reconnaître son premier enfant. Cette femme décédée, il en a rencontré une autre qui avait, elle aussi, deux enfants ; il les a reconnus, se retrouvant avec quatre enfants pas de lui. Cette femme est partie en Espagne, son pays d'origine ; il n'a pas voulu la suivre et a élevé ses enfants. Sa troisième femme, avec qui il s'est marié, lui a donné cinq enfants. Il fallait qu'il paye, inconsciemment, d'une façon ou d'une autre... Pour revenir à la relation à ma mère, elle est le personnage central de mon enfance et d'une grande partie de ma vie. Je lui dois beaucoup ; très aimé par elle, elle m'a cependant élevé dans ce que j'appelle le système sape, ce système que je dénonce et qui cultive l'incommunication à base d'injonctions, culpabilisation, chantage avec, de plus, une sincérité effroyable ! C'est d'ailleurs ce qui m'a fait comprendre, plus tard, qu'il ne fallait pas confondre amour et sentiment. Lorsque, par la suite, je lui ai parlé de tout cela, elle est tombée des nues car elle pensait avoir bien fait. Elle avait été élevée ainsi et, moi-même, j'ai commencé à élever mes enfants de la sorte, ce qui m'a rendu sourd pendant trente ans de l'essentiel. Ce système nous colle à la peau car, comme Obélix, on est tombé dedans quand on était petit. Je dérape quelquefois mais mes enfants me remettent tout de suite sur les rails. Je suis d'abord un enfant de la mère, j'ai une reconnaissance très grande, même si j'ai souffert de ces systèmes que je qualifie aujourd'hui d'anti-relationnels mais c'était le seul que ma mère avait, alors, à sa disposition.

P. M. : On peut dire, aussi, qu'elle a offert son enfant à l'humanité car elle aurait pu se faire avorter...
J. S. : Ma mère m'a dit deux choses : Quand j'ai vu que j'étais enceinte, comme je n'ai pas eu de mère, je pensais que je ne pouvais pas être une bonne mère pour toi, donc j'ai pensé faire une interruption de grossesse, non pas comme un rejet et un abandon mais comme un acte d'amour… Mais elle m'a gardé. Elle était de l'Assistance Publique et je suis donc né à l'Assistance Publique ! Une année plus tard, elle était placée comme bonne à tout faire chez des pharmaciens, avec l'enfant que j'étais dans ses bras. Ces gens-là, n'ayant pas d'enfant, souhaitaient m'adopter. Là aussi, elle a hésité mais ne m'a pas confié car il y avait déjà une relation entre nous. Une femme qui lâche son enfant, c'est qu'elle se sent impuissante à l'aimer...

Interview réalisée pour Psychanalyse Magazine en juin 2001.

 

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