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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Une saison chez Pierre Rey

 
 


Comme si le fait d'être un journaliste et un écrivain de talent n'avait pas suffi, la nature a doté Pierre Rey d'un physique qui fascine par sa beauté. À coup sûr, il doit énerver les hommes ! Pierre Rey n'a pas à convaincre ; il est doué. Il va à l'essentiel, nous offrant en direct et “ de surcroît ” sa saison chez Lacan.

Pierre Rey : L'analyse est un parcours. L'analysant part d'un certain lieu, d'un “ non-savoir ” pour arriver à un autre lieu. C'est aussi la recherche de certains éléments enfouis qui ont déterminé et qui continuent à déterminer une existence humaine ; tant qu'on ne les connaît pas, il y a de fortes chances de subir sa vie au lieu de la vivre, au lieu de la choisir. L'analyse, d'une façon générale, permet de dire son désir, d'arriver à ce point où l'on sait ce que l'on veut.

Psychanalyse Magazine : Que diriez-vous de votre analyse chez Jacques Lacan ?
Pierre Rey : Au début, je ne savais pas du tout qui était Jacques Lacan ! J'ignorais que Lacan était quelqu'un de renommé. J'ai donc téléphoné et je suis “ tombé ” sur Gloria, sa gouvernante, son pense-bête, qui régissait les affaires de la maison. Elle m'a répondu que le Docteur Lacan était occupé à cet instant et de le rappeler une heure plus tard. Ce que j'ai fait en demandant un rendez-vous. Elle m'a alors dit que Lacan voulait me parler. Je trouvais cela ridicule pour prendre un rendez-vous. Je l'ai eu au bout du fil, lui ai donc demandé un rendez-vous et avec cette voix très lente qui le caractérisait, il me répondit : “ Pourquoi? ” J'étais déjà en analyse sans le savoir. Je lui ai répondu : “ Ça ne tourne pas rond ” ; sa réponse : “ Demain quatre heures ”. Voilà comment les débuts ont commencé, tout à fait par hasard...

P. M. : Ce premier contact ne se voulait pas très engageant...
P. R. : Le lendemain, c'était encore moins engageant parce que Lacan, en apparence, n'aidait pas tellement. Il ne s'agissait pas d'un dialogue mais d'un monologue ponctué de soupirs, de haussements de sourcils vers le ciel, de gestes... Ou alors, brusquement, il se levait, ce qui mettait fin à l'entretien. L'analyse est une “ Shéhérazade ”, au point que les années passent et s'écoulent comme une soirée de printemps. On ne se rend pas compte du temps. Une analyse ne se fait pas en durée mais en intensité. Les gens s'étonnent toujours de la durée de mon analyse : dix ans. À ces gens-là, j'ai envie de répondre qu'ils se lavent les dents tous les jours ! Je m'intéressais beaucoup à l'art et j'avoue que l'éclairage lacanien était original. Un jour que je lui parlais de Vinci, il me dit : “ La seule chose dont on puisse être sûr à propos de Vinci, c'est qu'il n'était pas peintre ”. Ce sont des phrases qui laissent en plein désarroi mais on a la certitude que derrière cette pseudo-boutade, il y a un sens et, effectivement, le sens vient quand il doit advenir. On comprend dans “ l'après-coup ”, on n'est pas obligé de comprendre tout de suite.

P. M. : Dans “ Une saison chez Lacan ”, faisant allusion au divan, vous dites que ne vous y allongiez jamais ?
P. R. : Freud disait lui-même qu'il faisait allonger les gens parce qu'il n'arrivait pas à supporter dix heures par jour le regard de l'autre planté dans le sien ! On peut faire aussi une analyse en face-à-face et en ce qui me concerne, je suis toujours resté face à Lacan. Il faut dire qu'avec lui les séances étant plus courtes. Une séance pouvait durer dix secondes ! Mais il lui arrivait de me faire le coup pendant deux heures aussi ! Si vous êtes habitué à une analyse qui vous prend cinquante-cinq minutes de votre temps, vous entrez dans un ronron confortable. Avec Lacan, il y a eu cette inauguration des séances courtes qui, parfois, donnent lieu à beaucoup d'abus. De toute façon, l'arrêt de chaque séance correspond à un point clé du discours de l'analysant.

P. M. : Vous faites allusion aux scansions...
P. R. : La scansion est uniquement conditionnée par le discours de l'analysant. C'est lui-même qui, par le biais de son discours, détermine, sans le savoir, la durée de la séance.

P. M. : Et du temps à l'argent, quel lien établissez-vous ?
P. R. : L'argent, c'est du temps aussi, en ce qui me concerne. Quand je gagne de l'argent, c'est pour pouvoir acheter la seule chose qui soit valable dans une vie humaine : le temps. Le reste, je m'en fous. Les objets vous précèdent et vous survivent. Je me fous de la richesse matérielle. Pour moi, la vraie richesse, c'est le temps. Le temps permet l'expansion d'une liberté intérieure et extérieure. Avec le temps, vous achetez la possibilité, à chaque instant, de foutre le camp, si tel est votre désir. Le temps est quelque chose qui permet d'articuler le désir selon les nécessités du moment.

P. M. : Aviez-vous la sensation que Lacan vous prenait “ tout ” votre argent ?
P. R. : Non, je n'ai jamais compté en terme d'argent ma relation avec Lacan, pas plus qu'en temps. C'était ailleurs. Mais, cependant, l'analyse ne fonctionne pas non plus sans argent. C'est pour cette raison que la psychanalyse ne peut pas s'inscrire dans l'assurance sociale ; la raison en est simple : on ne peut apprécier que ce que l'on paie et il faut payer pour tout ; sinon on transfère son désir sur autre chose, en perpétuelle demande... L'argent et le temps sont liés dans une analyse et c'est une façon de payer, peut-être, le savoir auquel vous pouvez avoir accès. Mais, pour Lacan, je ne pense pas que l'analyse ait été considérée comme une thérapie ; c'était un humanisme et une éthique...

P. M. : Lacan disait : “ La guérison vient de surcroît ”...
P. R. : Lorsqu'elle arrive ! Ce qui prouve à quel point c'était peu important pour lui. La névrose est une défense, c'est une carapace que l'on se forge contre le réel. C'est beaucoup plus confortable d'avoir une névrose que d'affronter le réel. C'est tellement facile d'être malade, de se plaindre, de dire que c'est la faute de l'autre ! Il y a quelque chose dans une analyse, bien conduite, d'impitoyable. Il ne peut pas y avoir d'indulgence.

P. M. : Vous souvenez-vous de votre dernière séance ?
P. R. : Oui, ce n'était pas du tout prévu que ce soit la dernière. J'ai dit à Lacan, “ Je crois que je vais partir ”. Simplement, je n'avais plus rien à lui dire...

P. M. : Quel est, pour vous, le plus beau mot de la langue française ?
P. R. : “ Lumière ”,parce que je suis peintre et la lumière est le contraire de la mort. Je ne sais plus si c'est chez les Dogons, ou dans un pays d'Afrique, ou en Amérique du Sud chez les Indiens, qu'ils n'enterrent pas leurs morts ; ils les hissent dans une falaise pleine de trous, comme un gruyère et ils les assoient face au soleil. Je trouve cela formidable de ne pas perdre la lumière. Sans lumière on n'est rien, il n'y a rien...

P. M. : La mort, vous y pensez ?
P. R. : Oui, mais je ne suis pas obsédé par elle. Une phrase, dans mon livre “ Le désir ”, la définit : “ C'est le bonheur redouté d'une ponctuation finale ”. S'il n'y avait pas la mort, je ne serais pas en vie et étant donné que j'aime énormément la vie, ça ne me dérange pas de mourir ! Tout dépend de l'intensité avec laquelle on a vécu. C'est aussi une question d'événements qui peuvent vous broyer. Si vous avez la chance de naître dans un intervalle de paix, là c'est mieux.

P. M. : Êtes-vous globalement d'accord avec votre époque ?
P. R. : Tout à fait. Elle ne se différencie en rien des autres époques. On raconte toujours les mêmes conneries, ça ne change pas !

P. M. : L'Univers serait-il compulsion à lui tout seul ?
P. R. : Rien ne se modifie dans le nucleus psychique : c'est ce qui constitue le fondement d'un être humain, et ce qui le constitue, précisément, c'est la fracture cette fracture dont Lacan disait qu'elle est le tribut que nous payons du fait que nous sommes des êtres parlants. L'analyse amène, peut-être, à ce point de compréhension, sachant que nous ne pouvons être que coupés, fendus et à partir de là, on peut l'accepter. D'ailleurs, je voudrais rajouter quelque chose sur l'analyse : le temps d'une analyse, qui est quelque chose d'intense, est un temps à la fois toujours présent et toujours oublié. C'est comme une ombre légère qui vous suit mais vous ne vous retournez pas. Je ne parle jamais, ou très peu, de mon analyse, même si ma façon de m'exprimer découle quelque part de l'analyse. L'analyse est une ombre légère dont on ne sent plus le poids mais l'ombre est toujours là.

P. M. : Lacan vous avait tendu une perche pour être analyste ?
P. R. : Oui, deux fois. La première fois, j'ai été sidéré... La psychanalyse me passionne toujours beaucoup mais je n'ai jamais eu envie d'être analyste, sinon je le serais depuis longtemps !

P. M. : Que pensez-vous de cette profession singulière ?
P. R. : Dans votre métier, vous ne pouvez pas fréquenter de crétins parce que les crétins ne tiennent pas du tout le coup en analyse ! Ils s'en vont. Une sélection se fait par le biais de la durée et de la constance dans le temps. Les gens que vous fréquentez ne sont pas des imbéciles, ce sont des gens qui ont une fêlure et tous ces gens-là sont intéressants ; les autres sont des robots, des pions interchangeables. Il ne faut pas s'imaginer non plus, qu'après une analyse, on appartienne à une caste privilégiée. Mais Lacan disait aussi que l'analyse a un tas d'effets sur beaucoup de choses mais elle est sans effet sur la connerie ! Et disons que s'il y a une hiérarchie dans la connerie, ceux qui vont en analyse sont moins cons que les autres ! Le désir de se remettre en question est une preuve d'intelligence...

Interview réalisée pour Psychanalyse Magazine en octobre 2000.

 

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