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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Maître Bruno Alart,

 
 

des réponses symboliques au service de la cité d’aujourd’hui

Avocat sémillant, dynamique et ambitieux, Bruno Alart côtoie Raymond Barre dans le cadre de l'exercice d'une autre fonction : celle d'adjoint au Maire de la ville de Lyon...

P.M. : Quel regard jetez-vous sur la société ?
B.A. : C'est un regard que je veux actif, que ce soit en tant qu'avocat, Président de la Chambre des Professions Libérales du Rhône ou homme politique. Je veux participer aux prises de décisions car j'estime que la société évolue. Elle n'évolue d'ailleurs pas toujours dans le bon sens et il faut donc pouvoir intervenir sur cette évolution.

P.M. : Qu'entendez-vous par-là ?
B.A. : Il y a trop de blocages. Le politique, qui est l'homme qui doit normalement décider, est contrecarré par un système administratif et législatif beaucoup trop lourd.

P.M. : Quelle place, selon vous, l'argent occupe-t-il dans la société ?
B.A. : Plus une société est en crise économique, plus il faut développer la culture car, par la culture, on peut s'échapper. Il faut donner, soit par la culture, soit par l'urbanisme en cas de crise économique, la possibilité d'être bien sans beaucoup d'argent. Les individus peuvent se réaliser en pensant à autre chose qu'à l'argent Je constate que lorsque j'interviens en matière politique, les gens demandent de l'argent pour faire des réalisations en pensant sécurité pour leurs enfants et confort. Ce sont là des notions de bien-être, de vie. Et c'est par l'enfant que l'on va faire évoluer les choses ; c'est par l'enfant et son éducation scolaire et les instituteurs, de plus en plus jeunes ! C'est par l'éducation de l'enfant qu'il peut y avoir une évolution. Je crois beaucoup, et cela est ma vision de l'avenir, à un travail sur l'enfant et l'ado…

P.M. : Mais ne doit-on pas se positionner davantage en tant que didacticien qu'éducateur car il existe une différence fondamentale entre imposer un savoir et créer une ouverture, en expliquant aux individus qu'à partir d'une œuvre d'art, par exemple, ils peuvent eux-mêmes évoluer ; ainsi le support ne devient qu'un prétexte quant à une évolution personnelle. Et peut-on dire que notre pays pèche à ce niveau. Ne croule-t-on pas sous le poids du savoir imposé, avec des générations sacrifiées ? Cela pourrait être une proposition parmi tant d'autres...
B.A. : Je pense surtout que, pendant un certain temps, on a imposé trop de normes et de règles. Ainsi les fêtes de quartier ne sont pas intellectualisées ; il s'agit de spectacles simples avec une reprise des traditions ; les gens sont alors là pour ne pas avoir à réfléchir. Permettons donc aux enfants d'évoluer, de modifier leur comportement et leur mentalité mais pour ces adultes-là, faisons en sorte d'y aller par toutes petites touches mais donnons-leur aussi ce qu'ils désirent.

P.M. : Le fondement du désir serait-il une forme d'éducation ?
B.A. : Le désir c'est un ensemble de pulsions qui font que, tout à coup, nous aurons envie de comprendre, d'avancer, d'appréhender. Mais ce désir ne s'enclenche que par le beau. C'est une pulsion d'images ; il nous appartient à tous de créer le beau et de le faire sous différentes formes. Il appartient à l'homme politique de créer des occasions pour tous, c'est-à-dire apporter l'événement et sa continuation dans le temps.

P.M. : Lacan disait que « le désir naît de la frustration »...
B.A. : Je pense que le désir qui naît de la frustration n'est pas bon. À partir du moment où l'on est frustré et que l'on désire quelque chose, on va mal le désirer parce qu'on va peut-être l'idéaliser et à mon avis on ne peut être que déçu. La frustration crée, automatiquement, une rancœur, de la haine éventuellement.

P.M. : Quelles qualités faut-il avoir pour être un « bon » politique ?
B.A. : Optimiste et battant, c'est l'essentiel ; le reste fait partie du personnage, comme la notion de séduction, l'intégrité et la transparence.

P.M. : Avec une baguette magique, que feriez-vous ?
B.A. : Je voudrais être le premier décideur. Il n'y a, aujourd'hui, que le premier décideur qui fait avancer les choses !

P.M. : Si vous étiez le premier décideur de France, vous vous occuperiez de quel secteur en priorité ; autrement dit, quel est celui qui souffre le plus ?
B.A. : Le problème le plus important est le domaine de l'éducation. C'est la base de tout. Dans nos sociétés contemporaines, nous avons des gens de soixante-dix ou soixante-quinze ans qui veulent encore avoir du pouvoir. Ces gens-là en Conseil des Sages peuvent être écoutés mais ne doivent plus être décisionnaires. Ce qui m'enchante, aujourd'hui, est de voir qu'il y a de jeunes chefs d'État qui apportent une force, une réflexion novatrice. Cependant, il faut que les enfants sachent ce qui s'est passé pour ne pas que se renouvellent toutes ces atrocités qu'il y a pu avoir. Il faut garder la mémoire, la transmettre. Éduquer c'est apprendre aux jeunes, grâce à cette transmission venant du passé, à vivre dans le présent pour un meilleur futur. Pour moi éduquer, c'est former et donner le choix. C'est l'art d'enseigner.

P.M. : N'avez-vous pas l'impression que l'enfant puisse apprendre aussi en regardant ses parents?
B.A. : Oui, mais avec des cadres, des limites, des barrières, des interdits...

P.M. : Si un de vos enfants vous annonçait un jour qu'il est homosexuel ?
B.A. : Je discuterais avec lui mais je ne le rejetterais pas. Je pense que, dans un premier temps, ce ne serait pas quelque chose de facile. Mais j'essaierais de comprendre et d'accepter... J'ai une valeur, c'est de ne jamais me moquer des autres. C'est le respect des autres.

P.M. : Vous ne vous êtes jamais moqué dans votre vie ?
B.A. : Si et j'ai vu des détresses à partir de là. C'est cela qui m'a fait réagir. Je suis excessivement sensible sur le non-respect des autres.

P.M.: Que pensez-vous du père de « L'enfant prodigue » ?
B.A. : C'est bien que l'enfant prodigue revienne mais, et les autres ? Que faites-vous de ceux qui ont travaillé toute leur vie ? Je suis un homme politique qui travaille pour un collectif. Prenons l'exemple des millions investis dans ce que l'on avait appelé la réinsertion ; on s'est aperçu que, pour la plupart du temps, ces millions n'ont servi à rien ! Il vaut mieux raisonner collectivement que sur une seule personne. C'est bien qu'une personne puisse revenir mais il ne faut pas oublier les autres. Je suis pour un principe de réalité. Lorsqu'un de mes enfants fait une bêtise, je vais lui dire que ce n'est pas bien ; je lui explique pourquoi il m'a fait de la peine et je ne l'accueille pas, ensuite, comme l'enfant roi.

P.M. : Dans la parabole de « L'enfant Prodigue », cet enfant a voulu partir ; il a connu des errances liées à ses erreurs. Le père ne le condamne, ni lorsqu'il part, ni lorsqu'il revient et il castre le fils et frère qui juge.
B.A. : Ce n'est pas normal ! Une société doit reposer sur le fait que l'on peut faire des erreurs et que l'on doit effectivement les payer, puis s'insérer pour revenir. Ceux qui n'ont pas fait d'erreur ont droit à une considération importante. Ces gens-là sont dans le vrai ; ils sont normaux.

P.M. : Qu'est-ce que la normalité ?
B.A. : C'est celle qui est définie par les lois et par la justice. Cette normalité évolue. Lorsque je discute avec mon père, nous n'avons pas la même vision des choses. Dans l'Éducation, on nous réclame des portables pour les classes ou la climatisation. Aujourd'hui, compte tenu de nos moyens, nous refusons mais dans dix ans, il y aura tout cela dans les établissements scolaires et ça fera partie de la normalité.

P.M. : Vous appartenez à la catégorie des gens normaux ou anormaux ?
B.A. : Je fais partie de la catégorie des gens normaux mais atypiques.

P.M. : Qu'est-ce qui fait que l'on se situe du côté des gentils ou des méchants ?
B.A. : Peu de choses. Lorsque j'étais jeune, j'avais un cran d'arrêt que je mettais dans mes boots. Si je m'étais fait arrêter par la police, j'aurais été amené en garde à vue ; on m'aurait mis avec deux ou trois voyous et comme j'étais révolté, à cette époque, je serais peu être devenu moi-même un voyou…

Une interview réalisée pour Psychanalyse magazine en février 2001.

 

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