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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Stéphanie Fugain

 
 

sa croisade

Stéphanie et Michel Fugain ont perdu leur fille Laurette, emportée par une leucémie il y a quelques mois. Stéphanie à créé l’Association Laurette Fugain devant les insuffisances de moyens de cette maladie, encore mortelle, dont elle a pris conscience durant l’hospitalisation de son enfant. Et même si, depuis une dizaine d’années, on constate une réelle avancée dans les travaux qui s’occupent de cette pathologie et ce, notamment grâce aux recherches sur le sida, Stéphanie veut alerter les populations pour qu’une mobilisation plus efficace encore soit mise au service des leucémiques.

Stéphanie Fugain : J’ai monté une association où je désirais continuer ce que Laurette, notre fille, appelait une croisade. Elle a été hospitalisée pendant onze mois et nous a quittés à la suite d’une leucémie foudroyante. J’ai repris cette croisade qu’elle souhaitait entreprendre lors de son hospitalisation. Dans les années 2000, on ne peut pas imaginer qu’il manque des plaquettes, c’est-à-dire ces petites cellules du sang qui servent à coaguler et qui sont indispensables lorsque les malades sont traités par chimiothérapie, laissant un terrain miné et dépourvu de toute défense. Les malades se retrouvent sans globules rouges, sans globules blancs, sans plaquettes et il faut, à ce moment-là, leur en redonner. Le sang est composé de ces trois éléments mais dans les cas de leucémie, par exemple, ça ne suffit pas ; le sang va être donné pour lutter contre les anémies, bien sûr, mais ne va pas suffisamment coaguler ; il faut donc rajouter en permanence des plaquettes. Nous avons ainsi été confrontés, lorsque Laurette était encore là et à longueur de temps, à ce problème de plaquettes qui n’arrivaient jamais dans sa chambre. Le matin, on lui disait : “ Tu vas avoir des plaquettes ” et puis le soir, les plaquettes n’étaient toujours pas là… Les plaquettes sont indispensables pour prévenir les hémorragies. D’une façon générale, la société ignore l’utilité de cette fonction ou ne sait même pas qu’elle existe ; on n’informe pas suffisamment les gens de l’intérêt de donner leur sang et aussi leurs plaquettes ; c’est une opération un peu plus longue que le don de sang, ça demande deux heures de son temps mais c’est indispensable. Pour ces malades, qui suivent un traitement de chimiothérapie et qui son complètement démunis, c’est vital.

Psychanalyse Magazine : Que vous a appris votre combat ?
S. F. : Avant tout, je m’aperçois aujourd’hui que les associations, souvent, gèrent et règlent beaucoup de problèmes ; elles vont aussi au charbon, à la guerre, préviennent, aident… Dans cet esprit, même si les dons de moelle osseuse sont un peu différents, parmi les malades atteints de leucémie, lorsque les chimiothérapies n’ont pas fonctionné, ceux-ci ont encore une chance, un joker, celle d’être greffés ; pour être greffé, le principe est simple : on “ laboure ” complètement le terrain de la moelle osseuse, c’est-à-dire l’usine qui fabrique le sang ; si cette usine est défaillante, il faut la changer en espérant trouver quelqu’un qui ait la même moelle, la même identité et pour ce faire, on fait appel en premier lieu à la fratrie ; puis, si on ne trouve pas dans ce milieu-là, il faut faire appel à un fichier qui est maintenant international et qui regroupe des gens qui se sont constitués donneurs. La moelle osseuse est récupérée sous tous le os plats, les sternums etc. Tout cela, la plupart du temps, les individus ne le savent pas alors qu’ils pourraient aller s’inscrire. Aider un individu lorsqu’il a faim en lui donnant un peu d’argent, c’est bien ; ça donne bonne conscience mais dans le cas de la leucémie, il s’agit de donner un petit peu de soi et donner ce petit peu de soi, c’est plus difficile pour nos mentalités.

P. M. : Avez-vous reçu, enfant, une éducation altruiste ?
S. F. : Effectivement, j’ai été éduquée par un père qui m’a transmis ces obligations, ce civisme. Je trouve que parmi la nouvelle génération, les humains n’ont pas spontanément ce geste-là et, encore une fois, ce n’est pas totalement de leur faute, c’est qu’ils ne sont pas assez informés ; il faut donc informer, surinformer.

P. M. : Qu’en est-il de votre Association Laurette Fugain ?
S. F. : Elle fonctionne très bien ; les gens consultent le forum se trouvant sur le site Internet et je constate tous les jours combien les familles se trouvent dans le désarroi le plus complet, attendant que leur malade soit greffé. J’ai été contactée, il y a peu de temps, par un jeune homme qui me disait qu’il n’avait pas envie de mourir parce qu’il n’a que vingt ans, alors que, quelque part, quelqu’un n’a pas encore pris conscience qu’il pouvait lui donner sa moelle. Ça fait un drôle d’effet… Les associations travaillent dans leur tout petit univers, ça reste très confidentiel ; c’est pour cela qu’il faut hurler d’urgence. Je prépare d’ailleurs une manifestation qui se déroulera le 18 mai à Paris. On va faire en sorte que cette journée devienne une journée nationale pour les années à venir, “ La journée des plaquettes ”, afin que tous les ans on puisse la rappeler pour qu’il y ait une vraie prise de conscience et ne pas oublier tous ces malades qui sont en grande partie des enfants leucémiques.

P. M. : Quels messages livre la maladie ?
S. F. : L’autre jour, un journaliste me demandait, bêtement, si je faisais ma thérapie… Non, je ne fais pas ma thérapie, je fais mon devoir. J’ai appris, j’ai vu la souffrance de ma fille d’abord puis cette volonté, cet œil, ce courage, cette détermination à vouloir gagner… J’ai appris la vie et cette vie est difficile ; il est dur de vivre la mort d’un enfant car, pour une femme surtout, c’est probablement la pire des choses qui puisse lui arriver ; c’est tellement charnel, tellement fort que c’est insupportable mais, néanmoins, je ne vais pas m’effondrer pour le restant de ma vie ; je veux rebondir. Laurette m’aide à rebondir, je la sens au quotidien, partout, j’en suis imprégnée et elle me permet de mener ce combat. Elle m’a vraiment ouvert la porte d’une autre vie que je ne soupçonnais pas du tout… J’ai toujours été quelqu’un de très actif, tourné vers les autres, de déterminé mais aussi là, je me sens sur un autre chemin, un autre départ.

P. M. : Cherchez-vous à donner du sens à la mort de Laurette ?
S. F. : Bien sûr, mais aussi pour chaque chose de la vie ; il faut essayer de donner un sens sinon ça ne présente aucun intérêt. C’est certainement dû à mon éducation dans une famille nombreuse et très pauvre, où nous avons appris à nous contenter de ce que l’on avait et d’être toujours heureux du moment présent ; j’en remercie mes parents car c’est mon soutien à moi ; cela fait partie de ma conduite de vie ; c’est de cette façon-là que j’ai eu envie d’éduquer mes enfants, en leur apprenant tous les jours à savourer les petits bonheurs et y compris dans le grand malheur que je vis, il faut en dégager du positif pour la suite. Si ma fille me manque, elle ne doit pas me manquer de façon destructrice parce que ça ne m’amènerait à rien, d’autant que ça ne ferait pas partie de mon concept de vie…
Cependant, auparavant, je n’avais aucune croyance, bien que d’une famille catholique ; je ne suis pas pratiquante et lorsque j’ai vécu le départ de Laurette, j’ai réalisé qu’il y avait plein de signes qui nous étaient donnés ; on passe à côté parce qu’on n’est pas formé pour les interpréter. Ma fille m’a dit qu’elle partait les deux derniers jours ; elle m’a envoyé des signes lorsqu’elle était dans le coma, suite à ses convulsions ; je me suis retrouvée en présence d’images de Laurette magnifiques. J’ai pensé alors que la maladie s’en allait grâce à l’amour et à la force que nous lui donnions ; eh bien non, elle me disait qu’elle partait et très calmement, avec un magnifique sourire. Cette image, je ne pourrai jamais l’oublier. Il y a des signes dans la vie extrêmement forts auxquels aujourd’hui je fais attention car ils veulent dire quelque chose, ça existe. Je ne me pose pas toujours les bonnes questions mais, comme beaucoup de gens, là, je dois dire que tout ceci est troublant et ça m’aide aussi. Le départ de ma fille a été exceptionnel, avec une grande douceur et un son incroyable ; je pense que lorsqu’on passe sur l’autre rive, ça doit être comme ça. Je sens Laurette partout et, chez moi, ça ne me gêne pas de prendre ses affaires, de les porter sur moi, de les utiliser… Ça ne me fait pas mal. On me dit souvent que ce n’est pas bien ; on ne peut pas dire à qui que ce soit si ce qu’il fait est bien ou mal ; je crois qu’il faut laisser vivre les gens et ce qu’ils ont envie de vivre. Lorsqu’on est à l’écoute de ce qui se passe, chacun est assez grand pour définir ce qui est bien ou pas pour lui…

Interview réalisée pour Psychanalyse Magazine en avril 2003.

Vous pouvez adresser vos dons à :
Association Laurette Fugain
99-103 rue de Sèvres – 75006 Paris
Tél. 01 39 38 66 58
Fax : 01 30 05 62 63
Site Internet : www.laurettefugain.org

 

 

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