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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Yvon Lambert

 
 

un collectionneur au service de la Psychanalyse Appliquée

Présenter Yvon Lambert enlèverait tout intérêt à découvrir ce galériste parisien et collectionneur de talent. C'est la ville d'Avignon, capitale européenne de la Culture, qui accueillera dès le mois de juin les quelques quatre cents pièces d'Art Contemporain de la collection Yvon Lambert, grâce au Conseil Général qui a mis à sa disposition l'Hôtel particulier de Caumont, situé boulevard Raspail. Cette exposition permanente, selon Yvon Lambert, proposera une collection certes difficile, intellectuelle, autour de la pensée et de la réflexion. Une certaine façon de rejoindre Freud pour qui " la psychanalyse renseigne sur le processus de la création " et en plagiant quelque peu Max Graf, le père du célèbre " Petit Hans ", ajoutons que quiconque veut connaître l'Homme doit chercher dans ses œuvres. Ainsi, l'évidence du principe même de la Psychanalyse Appliquée s'est-elle très tôt imposée à Sigmund Freud pour lequel tout œuvre d'art est interprétable...

Yvon Lambert : Je me suis toujours intéressé à l'art, à la peinture et très tôt, j'ai eu envie d'avoir une galerie ; c'est ce que j'ai fait dans le Midi. C'était une petite galerie sur la place du village... et puis rapidement je me suis ennuyé, je suis “ monté ” à Paris. J'ai commencé par une galerie à Saint-Germain où j'ai montré des artistes à tendance “ géométrique ”. J'ai ensuite eu l'opportunité d'avoir une galerie beaucoup plus grande, toujours à Saint-Germain, et là j'ai pu réellement faire ce que j'avais envie de faire, c'est-à-dire montrer des artistes de mon temps, comme Sol Le Witt, Tony Smith, etc... Maintenant, je suis dans le Marais, au 108 rue Vieille du Temple, après être resté une huitaine d'années dans une galerie près du Centre Pompidou.

Psychanalyse Magazine : Êtes-vous doué pour les affaires ?
Yvon Lambert : Je suis un commerçant et je reste un commerçant. A la fin du trimestre, quand j'ai l'URSSAF, les loyers à payer, je suis comme n'importe quel commerçant français. Ces factures qui s'accumulent, il faut les honorer ! Alors, bien sûr, il faut avoir le sens du commerce, il faut avoir aussi de bons artistes, avoir foi en eux et avoir envie de les vendre, de les défendre, envie de se défoncer, non pour les imposer, je n'aime pas ce mot, mais pour en parler.

P. M. : On pourrait donc dire : bon sens, intuition et passion ?
Y. L. : Oui, bon sens mais aussi des moments de fantaisie au travers des artistes.

P. M. : Avez-vous eu l'impression, parfois, de vous être trompé ?
Y. L. : Je me suis trompé, bien sûr et heureusement parce que cela permet toujours de faire un bilan. Pour moi, me tromper signifie choisir un artiste, travailler avec lui, le défendre et puis, à “ l'usage ”, ça ne marche pas, c'est-à-dire que je perds l'enthousiasme, ce qui m'est arrivé plusieurs fois, comme il m'est arrivé d'avoir des artistes qui ne tiennent pas leurs promesses...

P. M. : Vous abordez ici un sujet délicat, c'est-à-dire le choix d'un artiste...
Y. L. : C'est là l'essentiel. Daniel-Henri Kahnweiler, ce marchand du début du siècle qui a “ montré ” Picasso, disait : “  Ce sont les artistes qui font la galerie ”.

P. M. : Y-a-t-il des artistes qui se sclérosent, qui se replient sur eux-mêmes, qui ne se battent pas en fait ?
Y. L. : Oui, et qui ne veulent pas évoluer, et qui pensent qu'on les exploite la vie entière ! Lorsque les artistes ne tiennent pas leurs promesses, on se quitte.

P. M. : Qu'est-ce qu'évoluer dans le domaine artistique ?
Y. L. : Quand un artiste m'intéresse, c'est que je sens qu'il apporte quelque chose de nouveau : cette fameuse pierre que l'on va poser sur le bâtiment de l'histoire de l'Art. Ce sont les gens qui arrivent avec des idées nouvelles qui font avancer l'Histoire...

P. M. : Quel public vient spécifiquement chez Yvon Lambert ?
Y. L. : Pardon de dire cela, mais je vois la terre entière. D'ailleurs, je veux la terre entière ! Plus modestement, je connais la fragilité à garder mon poste. On peut être la meilleure galerie mais il y a la concurrence. J'ai trente ans de métier mais il y a de jeunes galéristes plus attentifs, plus disponibles que moi qui suis engagé à organiser des choses lourdes, ce qui du reste est formidable aussi parce que la concurrence, ça stimule.

P. M. : Vous intéressez-vous aux peintres jeunes ?
Y. L. : Oui, c'est mon travail. Chaque jour, à la galerie, il y a des gens qui déposent des dossiers, je les regarde. Ça ne m'a jamais passionné et je n'ai jamais trouvé quelqu'un d'intéressant. Mais il est de mon devoir de regarder.

P. M. : Vous n'avez jamais trouvé quelqu'un d'intéressant sur un dossier?
Y. L. : Non, peut-être que le dossier est mal fait, peut-être que les photos sont mauvaises, que je ne suis pas de bonne humeur et que je n'ai pas envie. Il faut envisager toutes les possibilités...

P. M. : Pourriez-vous donner votre définition du talent ?
Y. L. : Le talent chez les autres, c'est ce que je ne sais pas encore.

P. M. : Mais ne contribuez-vous pas au talent de l'autre car vous êtes un sacré “  révélateur ” ?
Y. L. : Non, moi je suis un “  montreur ”.

P. M. : Vous êtes aussi un peu le père symboliquement pour ces artistes.
Y. L. : C'est vrai, le rôle d'un marchand est un rôle de confiance qui s'installe : un rôle de confident, d'ami, de banquier. Les artistes sont des gens fragiles ; ils ont des crises, des réactions qui peuvent être violentes et très dures à vivre, à assumer. Là, il faut être à l'écoute. Il faut les aimer. Un marchand peut abîmer un artiste...

P. M. : Pourquoi Avignon va-t-elle accueillir quatre cents œuvres de votre collection privée ?
Y. L. : Je suis provençal, des Alpes-Maritimes certes mais c'est encore la Provence. C'est vrai que cette collection que j'ai constituée en trente ans, j'avais envie de la partager dans l'environnement où je suis né, dans cette région de lumière que l'on a ici. Une ville comme Avignon correspondait parfaitement à mes désirs quotidiens mais connaissait un manque cruel, réel, d'Art Contemporain. Même si le Palais des Papes reste un monstre dans cette ville magnifique, même si le Petit Palais brille avec sa somptueuse collection de primitifs, le Musée Calvet s'arrête au XIXe siècle, malgré quelques fragments de peinture du XXe siècle et rien sur l'Art Contemporain. Marie-José Roig, Maire d'Avignon, a été attentive ; elle m'a écouté tout de suite et les choses se sont faites très simplement.

P. M. : C'était votre demande au départ ?
Y. L. : Oui, grâce à différentes relations locales. Madame Roig voulait faire un Centre d'Art Contemporain à Avignon. C'est une femme formidable... Les travaux du musée ont commencé le 4 janvier et on inaugure fin juin !

P. M. : Qu'attendez-vous de cela ?
Y. L. : Je ne le sais pas ; je suis terrorisé à l'idée que les gens puissent penser que ce lieu est une démarche égoïste. Il est vrai que cette collection est le reflet de mes choix depuis trente ans, de tout ce que j'ai aimé. Mais il y a un Directeur qui va s'occuper entièrement de la programmation de ce lieu qui s'appellera “ Collection Lambert ”. En fait, j'en attends que les visiteurs apprécient ; c'est une collection difficile, une collection pour certains très intellectuelle, sur la pensée, sur la réflexion, même si elle est jeune par certains artistes ; ce n'est certes pas une collection facile d'accès. Il faut savoir qu'il n'y a pas l'équivalent pour certains artistes au Centre Pompidou, pas plus qu'ailleurs en France.

P. M. : Si vous aviez un conseil à donner à un collectionneur qui débuterait ?
Y. L. : Je lui dirais : “ N'achetez rien, venez me voir souvent. On se promène et de temps en temps, on regarde un artiste ”. Ce sont des moments forts. J'insisterais : “ Ne vous pressez pas pour acheter, prenez le temps de voir, de revoir, de regarder vraiment et de poser des questions, posons-les nous ensemble ”. Il y a aussi le type de collectionneur qui arrive avec cent mille francs, qui veut les investir, faire un bon placement ; celui-là je le mets dehors car il y a des banquiers, des spécialistes pour cela !

P. M. : Quel est la toile que vous aimeriez avoir chez vous ?
Y. L. : Ce serait peut-être un tableau de Poussin, “  L'inspiration du Poète ”, mais ce ne serait peut-être pas celui-là ; ce pourrait être un tableau beaucoup plus intrigant : “ Les bergers d'Arcadie ”. Les tableaux qui gardent tout leur mystère sont les plus intéressants.

P. M. : Garder le mystère pour une œuvre, c'est son côté inachevé ?
Y. L. : Oui et pour moi, les œuvres qui gardent tout leur mystère sont celles que je préfère.

 

Interview réalisée pour Psychanalyse Magazine en juin 2000.

 

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