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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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la version en ligne ou numérique téléchargeable
du livre de Chantal Calatayud

 

" L'histoire de Fleur "

Un conte psychanalytique destiné aux 4 – 9 ans

 

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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Les contes doivent déclencher l’imaginaire, certes, mais les psychanalystes le savent bien, pas de n’importe quelle manière ; effectivement, l’écoute du récit sera de « l’ordre » du plaisir mais à l’unique condition que le langage transmis par le texte écrit ait respecté l’organisation psychique.

C'est ce que propose Chantal Calatayud avec "L'histoire de Fleur", ce conte psychanalytique destiné à l'enfant afin qu'il mette en place une juste distance entre sensibilité et savoir.

 

 

Chapitre XX


L’histoire du miroir

 

 

Il était une fois une famille de pauvres paysans qui habitaient une modeste maison. Ils avaient sept enfants, trois garçons et quatre filles. L’intérieur de l’habitation contenait juste ce qu’il faut de mobilier pour manger et dormir : une table, neuf chaises et un lit pour chacun. Un miroir, suspendu au mur de la pièce commune par une simple ficelle, faisait office d’objet de décoration et de glace ; en quelque sorte, la main qui l’avait accroché avait joint l’utile à l’agréable.

Les filles aidaient souvent au ménage et les garçons s’occupaient du jardin potager et du bois de chauffage ; même s’ils étaient encore très jeunes, les enfants comprenaient tous que leurs parents menaient une vie difficile ; le père et la mère travaillaient dans les champs et la rudesse de leur existence ne laissait pas de place aux loisirs et aux distractions.

L’aînée des filles s’appelait Colombe. Son prénom lui avait été donné à cause de la blancheur de sa peau. D’ailleurs, dès qu’une contrariété l’envahissait, elle devenait d’une pâleur inquiétante. Il faut dire que ses frères et sœurs lui prenaient beaucoup d’énergie : il fallait laver et habiller les plus petits, vérifier la toilette des plus grands, trier les légumes de la soupe, faire les lits, balayer, laver le linge à la main et Colombe ne s’asseyait que pour s’occuper des devoirs des uns et des autres ou pour repriser les chaussettes ou les fonds de culotte…

Un jour de grand ménage, Colombe décida de rendre un peu d’éclat au miroir dont la glace avait terni ; en effet, la fumée qui pouvait parfois s’échapper du conduit de la cheminée se déposait régulièrement dans la pièce à vivre.

La jeune fille méticuleuse décrocha l’objet du mur et commença à le frotter délicatement avec un chiffon.

Soudain, dans le reflet du miroir et au fur et à mesure que la glace reprenait une belle apparence, Colombe voyait un merveilleux visage, doux comme celui d’une fée, qui se dessinait et dont elle était sûre que ce n’était pas le sien…

Colombe se demandait si elle ne rêvait pas…

Elle prit peur en pensant qu’il s’agissait peut-être d’hallucinations…

C’est alors que la dame se mit à lui parler :

« N’aie pas peur, douce Colombe, je suis là pour te révéler un grand secret mais que tu ne devras pas dévoiler tant que je ne t’en donnerai pas l’autorisation ! »

La voix agréable rassura petit à petit Colombe qui demeurait figée devant la vieille glace qu’elle avait nettoyée si souvent sans que jamais un tel phénomène ne se produisit ! D’ailleurs la fée disparut…

Les jours qui suivirent, Colombe eut la tentation de prendre le miroir dans ses mains, de le dépoussiérer plus que de coutume ; peut-être fut-ce une erreur car le temps passa et la fée ne réapparut pas…

La vie continuait dans la chaumière, l’hiver arrivait et menaçait d’être rigoureux.

La jeune fille devinait l’inquiétude de ses parents car les vieux manteaux des enfants risquaient d’être insuffisamment chauds par temps de neige. Colombe s’appliquait à ne rien laisser paraître de triste sur son visage pour ne pas accabler davantage sa mère et son père. Elle donnait l’impression d’être gaie et ses petits frères et sœurs lui en étaient reconnaissants. La neige arriva fin novembre et avec elle, bien des tracas. Car, si à l’extérieur le spectacle apparaissait féérique, à l’intérieur de la chaumière, les cœurs étaient lourds. Effectivement, le pauvre paysan avait glissé sur une plaque de verglas et s’était blessé sérieusement. Sa femme le soignait avec affection et Colombe cherchait à le soulager de son mieux car l’homme souffrait beaucoup.

Colombe savait que sa mère ne ferait pas venir le médecin car elle ne possédait pas l’argent nécessaire pour régler la consultation.

Le pauvre paysan s’appliquait à être courageux pour ne pas rajouter à la peine de la famille. Cependant, son état empira un jour et le cloua au lit.

Colombe prit les choses en main et décida d’aller parler au docteur du village voisin. Elle n’écouta pas sa mère qui cherchait à la retenir et prit son châle de laine qu’elle ajusta devant le miroir…

Colombe finissait de placer son châle sur les épaules, mettant rapidement de l’ordre dans ses cheveux, quand son visage, dans la glace, laissa place à la jolie fée qui lui avait annoncé un secret à venir…

La jeune fille pâlit car sa mère et les enfants occupaient la pièce… Pourtant personne ne vit rien…

La fée fit comprendre à Colombe que sa douloureuse existence allait se transformer ; elle le lui fit comprendre sans lui parler, comme par une transmission de pensée. Colombe sentit tout d’un coup une chaleur agréable l’envahir et le temps de réaliser, c’est son visage qui prit place dans le miroir.

« Tu es bien pâle ma fille et tu es décidément bien têtue… Tu t’obstines à vouloir aller chercher un médecin alors que nous ne pourrons pas le payer et que de toute façon la neige risque de l’empêcher de passer… D’ailleurs, tu n’arriveras peut-être pas à traverser la forêt toi non plus et puis, tu risques de te perdre car les chemins sont effacés… Je vais être bien en souci en attendant ton retour… »

Colombe embrassa tendrement sa mère mais sans tristesse. Elle se sentait légère, légère, légère comme une plume qui volerait au gré du vent sous l’œil amusé de Monsieur Soleil…

Curieusement, le froid ne gêna pas la frêle jeune fille ; les animaux de la forêt, qui n’avaient pas vu âme qui vive depuis plusieurs semaines, saluaient notre amie et l’accompagnaient en relais… Tout d’un coup, Colombe hésita, ayant une grande difficulté à repérer son chemin tant la neige abondante avait camouflé le tracé de la route.

Soudainement, elle sentit qu’il fallait qu’elle se dirige sur sa droite, contre toute logique car elle ne reconnaissait pas particulièrement la voie naturelle. Elle avait l’impression d’être guidée malgré elle.

Quelques mètres plus loin, elle aperçut une très, très vieille femme, misérablement vêtue, qui voulait constituer un fagot de bois, en cherchant désespérément des brindilles sous la neige.

Colombe s’approcha d’elle et après l’avoir saluée, lui proposa de l’aider, lui conseillant pendant ce temps de réchauffer ses mains glacées dans son vieux gilet de laine raccommodé.

Colombe plongea à son tour ses mains blanches dans la neige. Elle ne sentait plus le froid. Miraculeusement, les brindilles de bois semblaient s’organiser en fagots d’elles-mêmes… Très vite, elle se redressa pour tendre le paquet à la vieille dame qui n’était plus là…

Elle ne comprit pas et pensa soudain qu’elle avait pu être victime d’un malaise. Elle la chercha, la chercha jusqu’au moment où elle devina un cheval au loin et son cavalier…

Le cavalier s’approcha de Colombe et crut qu’elle s’était perdue. Elle lui expliqua, tout émue, la raison pour laquelle elle affrontait le mauvais temps mais elle n’osa pas lui raconter l’épisode de la pauvre femme… D’ailleurs, le jeune homme mit le trouble de Colombe sur le compte d’une grande timidité… ou du froid…

« Vous êtes très pâle… », lui dit-il. « Il ne faut pas rester plus longtemps ici, les pieds dans la neige. Je vais vous ramener chez vous… »

Colombe allait protester quand il poursuivit :

« Je m’occupe de tout pour votre père… Je suis le nouveau médecin du village… Votre bon vieux docteur est parti à la retraite il y a quelques semaines… »

Colombe avait du mal à saisir tout ce qui se passait ; elle fit instinctivement confiance au cavalier et se retrouva rapidement devant chez elle.

Elle vit son père dehors occupé à dégager la neige qui obstruait les abords de l’habitation. Elle allait se fâcher lorsque le pauvre homme lui dit que, soudainement, il n’avait plus eu de douleurs et qu’il s’était senti rajeunir d’au moins dix ans !

Colombe pâlit encore davantage, s’évanouit et le médecin dut la porter jusqu’à son lit où elle reprit lentement ses esprits.

« Tout va bien aller maintenant, je reviendrai vous voir ce soir et reposez-vous en attendant… »

Mais Colombe n’aimait pas mentir et le secret de la fée était bien lourd à porter. Elle respecta cependant scrupuleusement les conseils du docteur tout au long de la journée et dans la maisonnée, tout le monde semblait avoir le cœur léger…

C’était comme si quelque chose avait changé…

Le soir, à la nuit tombée, le médecin revint et trouva Colombe en bonne forme. Il bavarda gaiement avec elle, lui disant qu’elle avait besoin de mettre un peu de fantaisie dans sa vie :

« Une jeune fille de votre âge doit penser un peu à s’amuser », lui dit-il.

Colombe baissa les yeux et rougit…

« Écoutez », s’empressa-t-il d’ajouter, « j’organise une petite réception pour fêter mon arrivée au pays… Je vous y invite, si vos parents m’y autorisent »…

Il griffonna quelques mots sur une ordonnance et repartit rapidement…

Lorsque Colombe déchiffra le message, sa pâleur s’accentua encore car elle crut voir le visage de la fée qui lui disait de ne pas s’inquiéter car tout serait organisé pour qu’elle puisse se rendre à l’invitation du médecin.

Il est impossible de raconter ce qui se passa dans les jours qui suivirent la rencontre avec le beau cavalier.

L’atmosphère dans la famille n’était plus la même, l’ambiance était joyeuse, la neige dehors avait fondu, le soleil brillait chaque jour ; seule Colombe demeurait inquiète à l’idée de la réception…

Comment allait-elle s’habiller ? Comment allait-elle se rendre au village ? Décidément, il fallait qu’elle prévienne le jeune homme qu’elle n’irait pas à son invitation.

La fée apparut devant elle :

« Colombe, on ne désobéit pas à une fée, c’est impossible… » et elle disparut…

Colombe commença à regretter le temps où rien d’extraordinaire ne se passait dans sa vie. Que de tracas maintenant. Et puis elle ne pouvait confier un aussi lourd secret. Même sa mère la prendrait pour folle !

Colombe saisit le miroir brutalement, bien décidée à demander grâce à la fée, voulant la supplier de comprendre que sa place n’était pas dans le grand monde, elle si pauvre, qui n’avait même pas de quoi se chausser convenablement…

Mais Colombe échappa le miroir qui se brisa en mille morceaux. La mère de Colombe la gronda sévèrement :

« Tu es décidément bien maladroite en ce moment, distraite aussi et ce jeune homme t’a tourné la tête »…

La jeune fille demanda pardon à sa mère, voulut tout lui raconter quand, dans les morceaux de miroir brisé qu’elle ramassait, la fée réapparut :

« Je sais que tu penses que ta place n’est pas aux côtés de ce jeune médecin, Colombe, mais où est ta place alors ? »…

Jamais personne n’avait philosophé de la sorte dans l’entourage de Colombe.

Il est vrai, se dit Colombe, que je ne me suis jamais interrogée… J’ai pensé aux autres, ce qui est normal, mais pas vraiment à moi. Je ne suis peut-être pas à ma place, là non plus…

C’est un « bonjour » tonitruant du facteur qui sortit Colombe de sa méditation :

« Voici du courrier, de bonnes nouvelles j’espère… »

Une lettre du notaire demandait aux parents de Colombe de se rendre à un rendez-vous à son étude dès le lendemain.

De quoi pouvait-il donc s’agir ?

Les heures qui suivirent s’égrenèrent lentement, la famille imaginait le pire comme le meilleur et quand les enfants entendirent le pas de leurs parents au retour de la visite chez le notaire, ils se précipitèrent pour les accueillir :

« Nous sommes riches, nous sommes riches… Un vieil oncle que nous ne connaissions pas nous a légué toute sa fortune. Nous n’y croyons pas… »

Colombe, elle, commençait à y croire… La fée ne lui avait-elle pas dit que…

C’est alors que Colombe se souvint de l’épisode de la pauvre femme dans la neige et que, très vite, elle s’imagina s’occupant des déshérités. Et si elle en faisait son métier car elle pourrait peut-être retourner à l’école maintenant que ses parents n’auraient plus besoin d’elle à la maison ?

Le jour de la réception donnée par le médecin arriva et Colombe attendait, dans une superbe robe, qu’il vienne la chercher.

Il faut dire qu’entre-temps ses parents avaient déménagé et toute la famille vivait maintenant dans une belle et grande maison au village. Ils n’avaient plus besoin de travailler et appréciaient leur repos bien mérité.

Le jeune homme, ponctuel au rendez-vous, accompagna Colombe comme prévu. La soirée se déroulait dans la salle des fêtes et la jeune fille fut présentée à beaucoup de monde, jusqu’au moment où Colombe croisa le visage d’une dame très, très âgée qui ressemblait étrangement à la dame misérable de la forêt.

Colombe pâlit.

« Vous ne vous sentez pas bien, Mademoiselle ?», lui demanda la dame en s’approchant d’elle…

« Si, si, mais tout ce monde m’étourdit, je n’ai pas l’habitude… »

Colombe, naturellement, sentit cependant que peu à peu sa timidité disparaissait et poursuivit agréablement la conversation avec cette dame qui n’était autre que la mère du jeune médecin, elle-même ancienne institutrice…

« Quel beau métier », ajouta Colombe, « et comme vous en parlez bien… »

Et c’est donc ainsi que la vieille dame, sentant la vocation naissante de Colombe, la conseilla pour qu’elle puisse commencer des études en vue de devenir enseignante à son tour un jour…

Le temps passa et Colombe, élève appliquée, obtint avec succès son diplôme d’institutrice.

Elle enseigne dans son village et les enfants l’adorent. Elle est maintenant fiancée au jeune médecin et ils préparent leur mariage…

Colombe croit désormais aux contes de fée et elle n’oublie jamais de dire à ses élèves que l’important, c’est de croire que chaque jour qui passe est plus beau que le précédent…

D’ailleurs, l’histoire de Colombe est terminée mais Fleur n’est pas triste car elle sait que sa maman lui racontera dès le lendemain, si elle est sage, une autre histoire qui sera encore plus belle que celle de Colombe…

 

 

L’auteur

Psychanalyste de formation philosophique et linguistique, art-thérapeute, psychogénéalogiste, didacticienne, Directrice de l'Institut Francais de Psychanalyse Appliquée, Chantal Calatayud est l’auteur d'autres livres dont « Raconte-moi la psychanalyse » (Éditions Villon), « Apprendre à pardonner - L'approche psychanalytique » (Éditions Jouvence), « S'aimer tel que l'on est » (Éditions Jouvence), « Accepter l'autre tel qu'il est » (Éditions Jouvence), «Vivre avec ses peurs» (Éditions Jouvence), « Ce qu’il faut savoir pour être soi : sortir du mensonge » (Éditions Dervy), « Les secrets de la longévité d'un couple » (Éditions Villon - Collection « Vivre heureux tout simplement... »), « T'es pas mon père ! » (Éditions Villon - Collection « Vivre heureux tout simplement... »), « 55 minutes avec Freud » (Éditions Villon - Collection « Vivre heureux tout simplement... »).

Chantal Calatayud est également Directrice de publication de Signes et sens magazine, édité par la société Psychanalyse magazine.

 

 

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