Le regard de Chantal Calatayud

 

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Chantal Calatayud est psychanalyste,
ditacticienne analytique, auteur, directrice de publication
de Psychanalyse Magazine.
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la version en ligne ou numérique téléchargeable
du livre de Chantal Calatayud

 

" L'histoire de Fleur "

Un conte psychanalytique destiné aux 4 – 9 ans

 

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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Les contes doivent déclencher l’imaginaire, certes, mais les psychanalystes le savent bien, pas de n’importe quelle manière ; effectivement, l’écoute du récit sera de « l’ordre » du plaisir mais à l’unique condition que le langage transmis par le texte écrit ait respecté l’organisation psychique.

C'est ce que propose Chantal Calatayud avec "L'histoire de Fleur", ce conte psychanalytique destiné à l'enfant afin qu'il mette en place une juste distance entre sensibilité et savoir.

 

« Les enfants qui naissent aujourd’hui auront à assumer…
nous ne savons pas du tout quoi ! »

Françoise Dolto in « Tout est langage »


 

 

 

 

Prologue

 


La lecture participe évidemment de tout projet éducatif. Il faut donc insister sur la responsabilité des textes de lectures scolaires qui ignorent, la plupart du temps, la dimension fondamentale de l’inconscient du petit d’Homme.

Le contenu du texte, s’il bouscule le fonctionnement de la psyché, peut entraîner des blocages importants quant à l’apprentissage de la lecture. Il serait intéressant que davantage de psychanalystes soient consultés dès l’élaboration d’une méthode de lecture…

Pour Françoise Dolto, le mot « lire » est un mot qui, pour certains enfants, éveille quelque chose de totalement tabou : c’est le lit conjugal des parents. Au moment où l’enfant est en train d’élaborer son interdit de l’inceste, le mot « lit » que leur paraît être le verbe « lire » rend ce mot banni, et les activités qui entourent le fait de lire sont quelque chose qui le met dans un très grand trouble… Françoise Dolto d’ajouter : Bien entendu, les maîtresses d’école ne le savent pas… Ainsi, les textes de lectures scolaires, qui jouent un rôle fondamental dans la construction du sujet, devraient prendre en compte la dimension inconsciente du petit d’Homme.

Le conte peut constituer une seconde chance dans le cadre d’un échec scolaire notamment. Effectivement, si l’élaboration psychogénétique est respectée au fil des textes, ceux-ci peuvent constituer un apport non négligeable, en particulier pour l’enfant qui présente des troubles psychopathologiques, même si ceux-ci sont discrets, voire plus ou moins masqués. Le conte psychanalytique qui, par essence, respecte le psychisme, participe – de toute évidence – à la mise en place d’une adaptabilité, pouvant aider ainsi à lever « l’encre-age » de la névrose.

Pour qu’un enfant soit à l’aise en lecture, il faut – bien entendu – qu’il ait un langage oral de qualité suffisante d’autant que lire nécessite, outre le déchiffrage, de dégager le sens du texte ; ce sens est inconsciemment abordé quant à des traces mnésiques affectives et concerne donc l’univers fantasmatique chargé d’émotions. Si le contenu du texte engloutit émotionnellement l’inconscient, apparaîtront résistances et blocages.

Les livres de lecture scolaire, tout comme les contes, doivent déclencher l’imaginaire, certes, mais les psychanalystes le savent bien, pas de n’importe quelle manière ; effectivement, l’apprentissage de la lecture réussi sera de « l’ordre » du plaisir mais à l’unique condition que le langage transmis par le texte écrit ait respecté l’organisation psychique.

Il est indispensable de donner les moyens à tout enfant d’aimer la lecture, ce qui revient à amener celui-ci à découvrir le plaisir de lire ; ainsi s’imposera un aspect récréatif, fondamental, qui produira un enthousiasme suffisant pour que l’inconscient ne fasse pas barrage.

Si lire doit séduire, tout texte de lecture revêt donc une importance capitale dans le sens où son contenu devra s’apparenter à la prudence. Effectivement, les effets d’une histoire en apparence banale peuvent être très négatifs pour plus tard car, outre les phonèmes qui véhiculent une signification subjective, la chronologie des textes de lecture se relie à l’histoire individuelle et familiale de l’enfant.

Plaisir de lire certes mais il ne faut jamais oublier que chacun introjectera ce voyage singulier au travers de ses fantasmes, de ses incompréhensions, de ses limites, donc de ses souffrances… La responsabilité d’un texte est réelle et trop d’histoires circulent librement publiées qui occultent la complexité de la vie psychique, notamment avant la période de latence, c’est-à-dire avant l’âge de six-sept ans.

Pour que les portes de la socialisation et de l’humanisation s’ouvrent sur des perspectives structurantes, il faut que lire permette à l’enfant de mettre en place la distance juste entre sensibilité et savoir.

 

Le conte psychanalytique, une seconde chance

Les conduites d’échec ponctuent le parcours de bien des individus et il semblerait, à entendre certains enseignants, que l’école, pourtant espace de socialisation, d’humanisation et de connaissance, ait de grandes difficultés à gérer les troubles de l’apprentissage, notamment dans le domaine de la lecture. Sensibilisé par ce processus, le docteur Laurence Pescay, directrice scientifique de Signes & sens magazine, a voulu connaître l’avis de Chantal Calatayud.

Dr laurence Pescay : Alors que vous êtes psychanalyste et directrice de l’Institut Français de Psychanalyse Appliquée, quelles raisons vous ont poussée à écrire des contes psychanalytiques destinés au petit enfant, ainsi qu’une méthode de lecture pour l’élève de sept-huit ans en échec d’apprentissage de la lecture ?
Chantal Calatayud : Une répétition de demandes de consultations pour des enfants de CP-CE1, intelligents mais qui rencontrent des résistances qui ne répondent à aucune logique consciente. Et puis surtout, il y a eu Antoine. C’est lui qui a fait que j’ai décidé de passer à l’acte, alors que j’y pensais depuis longtemps déjà mais de façon velléitaire. Antoine, sept ans, à l’intelligence supérieure mais qui bloquait à la vue des syllabes.

Dr L. P. : Comment expliquez-vous les troubles de la lecture que l’enseignement lui-même dénonce aujourd’hui ?
C. C. : Lorsque j’ai décidé de me pencher sur les difficultés de ces jeunes analysants, j’ai tout de suite compulsé des livres de lecture de CP et là, j’ai découvert, dès les premières pages, des textes inoffensifs en apparence mais qui peuvent déstabiliser un très jeune inconscient.
Je prends pour exemple l’histoire de Babar, que tout le monde connaît, racontée en première page d’un livre de lecture de CP : alors que sa maman y est décrite comme gentille, elle est tuée par un vilain chasseur et Babar, fou de douleur, est complètement perdu…
Si l’élève qui découvre ce texte, dès les premières heures de la rentrée scolaire, n’est pas « abandonnique », il ne mettra pas en place de résistance mais, s’il souffre d’une névrose d’abandon (et malheureusement, ni les parents, ni les enseignants ne peuvent le déceler d’évidence), l’enfant bloquera et utilisera toute son énergie pour mettre en place des mécanismes de défense afin de ne pas « entendre »… Et c’est ainsi que les difficultés se surajouteront au fil de l’année scolaire.

Dr L. P. : Votre méthode de lecture s’intitule « Je regarde, je raconte, je lis » ; vous en avez donc écrit les textes mais vous l’avez réalisée en collaboration avec une illustratrice, Virginie Peyre. Quelle importance accordez-vous à l’image ?
C. C. : Elle est primordiale. Tout processus d’identification passe par le regard. Selon Françoise Dolto, « les petits d’Homme ont des propensions simiesques » qu’il faut donc exploiter au nom d’une évidence de la nature. Les parents, les enseignants peuvent permettre à l’enfant d’accéder à l’image ; l’enfant doit d’abord « lire » l’image ; il le fera à sa façon à lui, donc sans violence puisqu’il s’auto-protègera instinctivement. Je raisonne bien sûr sur la possibilité d’images non agressives !


Dr L. P. : Vous mettez donc le regard en priorité, puis vient le « dire ». Pour quelle raison ?
C. C. : Si vous regardez un tableau quel qu’il soit, il y aura toujours un état émotionnel qui jaillira au conscient. Il faut permettre à l’enfant d’exprimer ce qu’il a ressenti, d’autant que ses projections vont permettre d’accéder à son imaginaire. Ce « registre imaginaire » est d’ailleurs le champ de l’investigation analytique par excellence !


Dr L. P. : Mais comment l’inconscient de l’enfant va-t-il pouvoir passer du « dire » au « faire » ?
C. C. : Je reviens encore à Françoise Dolto qui disait qu’« instruire un enfant qui ne demande rien, c’est le traumatiser ». Une fois que l’enfant s’est exprimé librement (c’est la méthode des associations libres de Freud, comme vous le savez), il a libéré des affects qui prenaient jusque-là la forme de barrages qu’il a ainsi pu lever. Il peut alors assumer sans crainte sa propre image, donc le sens qu’il donne aux mots (et aux maux) sans traumatisme. Le phonème devient accessible.

Dr L. P. : Dans un conte pour enfants, dans une méthode de lecture, que doit respecter avant tout son auteur ?
C. C. : C’est une question importante à mon sens. Outre les querelles plus ou moins justifiées concernant les limites d’une méthode dite globale, outre les différences de maturation d’un enfant à un autre, il est fondamental de respecter une organisation inconsciente, une sorte de chronologie de la psyché. La mise en place de stades se fait selon un certain ordre qu’on ne doit pas bousculer. C’est ce qui fait une des spécificités de la guidance de la cure analytique. Ainsi, en venant au monde, le nouveau-né découvre-t-il le plaisir par la succion ; c’est donc une hérésie de mettre un inconscient prématurément face à la perte, lors d’un apprentissage de la lecture, si je reprends l’exemple de Babar que j’ai cité tout à l’heure. Et combien d’exemples de ce type sont à dénoncer…

Dr L. P. : Vous avez nommé Françoise Dolto à deux reprises, Françoise Dolto qui a publié un essai sur l’éducation, « L’échec scolaire ». Elle dit dans cet ouvrage qu’une éducation est réussie quand elle est ratée. Qu’en pensez-vous ?
C. C. : Il fallait tout le talent de cette grande dame de la psychanalyse pour déculpabiliser de la sorte les parents car il semblerait alors, selon le principe qu’elle énonce, que toute éducation soit réussie…

 

Chapitre I

 

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