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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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L'instinct de séduction


Séduire ou être séduit est un sujet plus légitime qu’ambitieux... Effectivement, le petit d’Homme va déjà, très peu de temps après sa naissance, sentir libidinalement s’il fait plaisir à sa mère (en tétant bien) ou s’il l’inquiète, voire la déçoit (en tétant mal ou insuffisamment). De là s’instaure une singulière communication d’inconscient à inconscient au travers de laquelle l’enfant peut fantasmer perdre la reconnaissance de son grand objet d’amour, le sein nourricier en l’occurrence.

Quelque temps plus tard, ce sera la découverte du père qui, abordé fantasmatiquement par cette précédente et première expérience relationnelle, subira à peu près les mêmes projections qui engendreront une angoisse similaire de perte ou même d’abandon. Autant dire que l’inconscient du nourrisson va fabriquer et produire, dès le démarrage de son existence, de la séduction. C’est pour cela qu’on peut attribuer à ce phénomène relationnel singulier une sorte de légitimité ! Il ne s’agit cependant pas là de nier son corollaire inversé qui peut se transformer aussi en attitude stratège, au point que la psychanalyse en soit arrivée à parler d’hystérie (de séduction) devant des comportements névrotiques masqués. La société contemporaine donne d’ailleurs à voir et à constater ce type de dérives possibles aux conséquences négatives multiples : séduire oui et se laisser séduire, pourquoi pas, mais à condition d’avoir balisé le chemin, d’en mesurer et d’en cerner les limites à ne pas dépasser. On se souvient d’une certaine publicité faite par un organisme bancaire célèbre et réputé qui était alors censé répondre par l’affirmative aux demandes financières de ses clients... La suite, on la connaît (hormis le fait que, bien entendu, toutes les demandes n’aboutissaient pas), beaucoup de malheureux sont tombés dans le piège pour se voir ensuite affublés d’un... interdit bancaire par ce même organisme !

Une valeur sûre ?
La séduction se révèle tout aussi dévastatrice au plan sentimental, bien sûr. C’est cet homme marié qui jure sur tous les dieux qu’il va quitter épouse et enfants à cette jeune femme elle aussi mariée ; elle quitte le foyer conjugal, lui ne le fera jamais... C’est cette femme qui assure à son compagnon qu’issue d’un milieu aisé (ce n’est pas vrai), elle ne se sent à sa place que parée de bijoux de grandes marques ou dans les palaces ; et ce même compagnon de se ruiner, faisant ensuite des manipulations délictueuses en tant qu’employé comptable d’une grosse société et qui, pris la main dans le sac, finira par se suicider... Les dossiers des psychanalystes regorgent de ce genre de cas (cliniques) où la séduction a joué un rôle pervers.
Ainsi donc, si la démarche est instinctive et s’explique mnésiquement compte tenu du lien spécifique qui relie un enfant à sa mère (et/ou à son père), la séduction, axe narcissique par excellence, pousse à s’interroger. D’ailleurs, tout comme le personnage caricatural d’Aldo reste pathétique, peut être analysée sous le même angle l’histoire dramatique de Lady Di et de Dodi Al Fayed qui, pour séduire une ex-future reine, a déployé tout un « arsenal » (parfaitement inutile) ; mais avait-il fantasmé qu’en séduisant la princesse la plus convoitée du monde, il serait, à son tour, sacré prince le plus admiré de l’Univers ? La suite est accablante : ils ne se marièrent pas, n’eurent pas d’enfant et finirent sous un pont...
Tous ces exemples mettent en exergue des leviers de commande implicites qui peuvent dysfonctionner à l’insu de l’individu, tout auréolé qu’il est de bonnes intentions (conscientes). Car si la séduction rassure aussi bien l’émetteur que le récepteur, elle doit monopoliser une grande vigilance. La séduction à tout prix, certainement pas puisque, dans sa forme acceptable, elle prend en compte les limites de l’autre, quelles qu’elles soient. C’est seulement alors que séduire peut se concevoir. La séduction ne doit pas se mettre au service de tyrannies que le genre humain peut solliciter inconsciemment ; elle exclut le masochisme, la soumission, la dépendance et surtout le pouvoir. Ainsi, si le pouvoir de séduire existe en chacun de nous, il ne s’agit pas de le transformer en une intrigue ; c’est à cette condition précise que la séduction est une valeur sûre avérée et qu’elle révèle sa légitimité.

 

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