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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Pourquoi renoncent-ils à dire oui
le jour de leur mariage ?


Entre eux, c’était pourtant le parfait amour. Du moins en apparence… Le jour J, celui de l’union officielle devant Monsieur le Maire, ils sont plus nombreux qu’on le pense à partir en courant. Dans un ultime « courage fuyons », ils trouvent tout de même l’énergie du désespoir pour avouer à un proche qu’ils annulent maintenant leur engagement. Quand ce n’est pas à l’église au moment de sceller leur union. Le futur conjoint ne comprend pas et reste abasourdi. Tout comme l’assistance.

Le résultat (désastreux ou pas) et ses conséquences (bonnes ou mauvaises) objectivent que celui ou celle qui renonce à dire oui devant des témoins, choisis en juste réflexion, devait jusque-là s’obliger à maintenir une flamme sacrément vacillante. À faire croire aussi que le désir était au rendez-vous. En d’autres termes, à faire preuve d’une séduction indéfectible puisque, même le futur conjoint n’a pas vu venir le désastre.

Just married 
À la façon de Julia Roberts dans le très médiatique film « Just married », l’abandonnique de service fait preuve, tout au long de la période de fiançailles (officielles ou officieuses) d’une bonne volonté à toute épreuve. Il semblerait que ces individus soient plutôt affublés d’une dose de patience et de persévérance un peu hors du commun. Gilda en atteste : En 1955, je devais épouser Michel. Mon enfance n’avait pas été drôle compte tenu de mes origines juives et de la déportation qui avait décimé mes proches. Je connaissais ce garçon depuis longtemps puisque son père était directeur du collège que je fréquentais. Par amis de classe interposés, nous nous sommes progressivement rapprochés. Lui avait perdu sa mère d’un cancer du sein, alors qu’il avait six ans. Il en souffrait beaucoup. Ce qui contribuait à nous attirer. Même si nous évitions de parler de sujets douloureux, une véritable empathie s’était installée entre nous. En revanche, ce que je constate aujourd’hui, c’est qu’il n’y a jamais eu de vraie complicité dans notre relation. Nos familles (du moins ce qu’il en restait) s’appréciaient. Les uns recevaient les autres. En fait, ils nous ont fiancés à notre insu ! Je subodorais que nous tombions dans un piège. Au début, on nous appelait « les amoureux ». C’est notre entourage, certainement perturbé par des morts prématurées, qui a enclenché un processus bizarroïde autour de l’amour. C’est cela… Nous nous aimions d’amitié avec Michel mais pas d’amour… Pour les préparatifs du mariage, nous avons été pris en charge. Nous étions tous deux comme anesthésiés car nous n’en parlions jamais entre nous. Mais pourquoi ne pas avoir réagi alors qu’il en était encore temps ? Gilda s’énerve un peu : Vous avez raison de poser cette question. D’autant que ma robe de mariée parlait à elle toute seule. Elle n’était pas à mon goût mais je n’en avais rien dit à ma mère qui l’avait cousue de ses mains… Elle avait ajouté des volants bouffants partout alors que j’étais plutôt ronde. Je reculais les essayages. Ces rondeurs, aggravées par le façonnage maladroit, m’ont fait réaliser que je ne désirais pas avoir d’enfant avec Michel. Que le désir était absent de cette relation. De plus en plus muette, les jours passaient. Mon entourage ne voyait rien. Ne comprenait rien. Je faisais le désespoir de ma mère car j’engloutissais des pâtisseries et grossissais. Le jour du mariage, en arrivant à la mairie, ma robe a craqué. Ma sœur était là, mon témoin, je lui ai dit que je me sentais mal. Je voulais fuir et j’ai le souvenir de m’être évanouie. La cérémonie a été annulée. Définitivement…
Pour Gilda, le « somatique » lui a permis d’imposer, de manière déformée, l’annulation de sa future union. Cependant, les conséquences ne furent pas banales : Le bruit a ensuite couru que j’étais enceinte (mes rondeurs), ce qui, à l’époque, était scandaleux hors mariage. Et que j’avais eu recours à une faiseuse d’ange pour avorter. Pour mes parents, ça a été pénible. Plus rien n’a été comme avant. J’étais employée au bureau des entrées d’un hôpital parisien. J’ai demandé et obtenu ma mutation pour une ville du Sud-Ouest où j’avais une tante qui m’aimait beaucoup. Pour réparer, je suis restée célibataire. J’ai connu des aventures sans lendemain. Michel a épousé ma meilleure camarade d’enfance. Ils ont eu deux filles. Mais il est mort très jeune dans un accident de la circulation : il se rendait au mariage de son filleul… 
Le mariage, pour ces sujets qui voient le oui d’une union sacrée se transformer en non cauchemardesque, est donc le symptôme. Ce sont, statistiquement, les moins de trente ans qui souffrent essentiellement de ce trouble singulier qui survient cependant dans un contexte aisément identifiable.

L’annulation rétroactive 
On connaît le nombre d’échecs au bac. Et même le nombre d’élèves de classes terminales qui, en cours d’année scolaire, stoppent leurs études sans motif réel. Il s’agit, en fait, de profils qui ont du mal à quitter le toit familial. Sigmund Freud parle d’annulation rétroactive. C’est-à-dire que l’inconscient, qui ne connaît ni la temporalité, ni l’espace, navigue à sa guise dans son espace libidinal. En témoignent les rêves ou, encore, les travaux d’Albert Einstein sur la relativité du temps. Lorsqu’un enfant a connu un traumatisme, celui-ci reste fixé à son insu. C’est ce que la psychanalyse appelle affect. L’inconscient n’aura de cesse, tout au long de son existence, de chercher à remonter en amont de cette douleur. Ce qu’expliquent bien des comportements infantiles chez certains adultes… 
Jean-Claude a perdu son père dans un accident de voiture il y a maintenant vingt ans. Ses moyens pécuniaires lui permettent de rouler dans une superbe cylindrée qu’il conduit en ne dépassant jamais 80 km/heure. Le calcul est rapide à faire : son père est décédé en 1986. En langage facile, on va plutôt dire « en 86 ». Le fait de rouler à (en) 80, pour l’inconscient de Jean-Claude, revient à effacer le trauma. Si ce n’est qu’en conduisant ainsi, selon le trajet routier, il peut devenir un automobiliste gênant, dangereux et pouvant provoquer un accident… L’inverse existe aussi : le conducteur, si l’on reste dans ce type d’exemple précis, peut conduire très vite pour « annuler » l’année « 86 » systématiquement. Même position névrotique pour le futur ou la future mariée qui renonce brutalement aux liens du mariage. Certes, indépendamment d’une date qui peut réveiller des souvenirs négatifs, il faut que plusieurs facteurs se surajoutent, justifiant aussi consciemment le refus conjugal. Gilda a exprimé, entre autres, une sorte d’obligation tissée par deux familles qui avaient eu envie de s’unir. Mais, là encore, des éléments sont déterminants dans le cadre de l’impossibilité à s’accoupler devant la loi le jour officialisé. Les semaines qui précèdent enclenchent des réactions surprenantes qui deviennent un miroir souvent explicite. Prenons un nouvel exemple : si une jeune femme a eu une sœur handicapée congénitale, elle peut (inconsciemment) développer une angoisse d’avoir à son tour un enfant anormal. Si la vue de cette sœur l’a traumatisée enfant, si ni ses parents ni elle n’ont eu les moyens psychologiques d’accepter fondamentalement cette naissance difficile, des verrous psychiques féroces œuvrent pour que le mariage – alors synonyme de possible « parentalité » – soit annulé. Quant au jour précis de l’union solennelle, il peut favoriser un débordement anxiogène à la vue du Christ et de sa destinée douloureuse (dans le cas d’un mariage religieux chrétien). L’inconscient, encore une fois, baigne puérilement dans un magma énergétique où tout est possible pour se « sauver ». Malheureusement, dans le quotidien, tant que fantasme et réalité se confondent, la rupture est de mise. Dans l’ouvrage « Approche spirituelle de la peur », paru aux Éditions Diamantel, se trouve une phrase qui résume assez bien les mauvaises racines d’un non prononcé comme un mécanisme de défense d’un autre temps : Les blocages, est-il écrit, sont en réalité des identifications à des plans de conscience inférieurs. Ainsi, si l’on considère, à juste titre, que grandir c’est partir, au lieu de fermer la porte, par réaction à une histoire enfouie qui n’est pas la nôtre, poussons-la au contraire : de l’autre côté se trouve toujours, et quoi qu’il en soit, de quoi avancer, de quoi évoluer. Et à deux, c’est encore mieux ! Tout simplement déjà parce qu’un principe masculin couplé à un principe féminin engendre la vie.

 

 

 

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