chantal_calatayud

A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

ouvrages-publications-chantal-calatayud-directrice-institut-psychanalyse-ifpa

Le jeu pour (déjà) se socialiser et s’humaniser...


C’est à Winnicott, psychiatre et psychanalyste du XXème siècle, que l’on doit des travaux d’une rare importance quant au développement affectif du petit d’Homme. Ce médecin, dès le début de sa carrière professionnelle, observe de façon extrêmement rigoureuse les bébés, réalisant ainsi combien il est impératif et indispensable d’apporter une écoute vigilante à leur mère.

Donald Woods Winnicott a laissé une empreinte incontournable à la psychanalyse avec son concept d’« objet transitionnel » qui devient une possible distance entre le nourrisson et sa mère, grâce à la découverte quasi instinctive de l’ours en peluche, du coin de couverture ou encore du pouce. Il s’agit-là de la première grande transition entre le « moi et le non-moi ». Cette aire transitionnelle, développée par son auteur dans son ouvrage de 1971 « Playing and reality » « Jeu et réalité : l’espace potentiel », met en exergue le principe du jeu en tant qu’expérience primaire du champ de socialisation et d’humanisation à venir.

L’ébauche du jeu
Tout nourrisson, de par les mécanismes inconscients d’introjection et de projection, fantasme sa mère comme étant un objet animé. De fait, il évolue selon un processus confusionnel. Ainsi l’inconscient de l’enfant reste-t-il, paradoxalement, dans une perspective subjective mais la mère, spontanément, présente à son enfant, sous forme de jeu approprié, ce qu’il est prêt à découvrir :
> L’approche de l’objet entraîne d’abord un déni mais l’objet, réintégré ensuite, devient envisageable objectivement. La qualité de ce mouvement fantasmatique découle essentiellement de la présence de la mère ou d’une figure de substitution, disponible à redonner activement ce qui lui est adressé.
> L’étape suivante se fait ainsi accessible : être seul en présence d’un autre. L’enfant peut jouer, ayant acquis une force tranquille suffisante, liée à la certitude qu’il peut avoir confiance en la personne qu’il aime et qui l’aime. Dans ce jeu libidinal, l’angoisse disparaît car cette mère ouverte au « jeu-je » est disponible et le reste puisque, après l’avoir oubliée, son image revient. L’objet d’amour est alors corporéisé, ressenti comme réflexion de ce qui se déroule dans la situation ludique.
> La maturité pulsionnelle s’exprime de fait : elle favorise l’interaction de deux espaces de jeu complémentaires et indépendants dans lesquels deux individus distincts ont le droit de s’exprimer. Cet axe de socialisation-humanisation permet au jeu de la vie de s’instaurer, en commun, à l’intérieur d’une véritable communication qui participe de soi et de l’autre dans le respect des règles.

Le jeu formateur
Jouer constitue la préoccupation majeure de la vie de l’enfant. La forme du jeu ne présente pas un grand intérêt à prendre en compte. Seul le mouvement de retrait reste à considérer. L’individu y acquiert le mécanisme de la concentration qu’il fera évoluer en grandissant. Si cette capacité est affectée, l’adulte développera un terrain névrotique à type de résistances. C’est pour cette raison que l’enfant ne permet pas n’importe quelle intrusion à l’intérieur de cet espace sensoriel. Il faut admettre que cet espace n’est pas uniquement fantasmatique et n’appartient pas non plus au principe de réalité, d’où la difficulté qu’éprouve l’enfant à quitter le jeu. Dans cet univers, l’inconscient engramme des situations plus ou moins réelles qu’il va modifier au nom de sa différence, de son histoire, de son vécu, ce qui enclenche souvent des réactions agressives, voire conflictuelles, pendant qu’il joue : il cherche du rêve possible et se heurte, par à coups, à une impossible réalité du fait de son âge. La conséquence de cette opposition interne-externe conduit cependant l’enfant à se « frotter » à diverses expériences qui lui permettront, petit à petit, de « ça-voir » ce qui ne lui convient pas. Centré progressivement sur lui, une confiance s’installe qui engendre une capacité adaptative à des situations difficiles venant, pour la plupart, de l’extérieur. Le jeu étant psycho-corporel, il permet l’expression d’émotions :
> Par l’habile manipulation et la bonne utilisation d’objets variés envisagés déjà socialement – donc au service d’une pratique.
> Par une excitation sensitivo-émotionnelle liée à la restitution d’affects traumatiques et libérés par cette dramatisation-dédramatisation ludique.
> Les zones érogènes en éveil déclenchent le sentiment chez l’enfant qu’un agresseur potentiel peut surgir en tant que prédateur. Des mécanismes de défense s’agitent favorisant déjà un principe de réalité : l’autre extérieur existe, pouvant se révéler menaçant.
> Malgré des angoisses liées à la rencontre imaginaire ou réelle avec l’altérité, le jeu est potentiellement structurant puisqu’il y a là une possible prise en compte des limites.
> Le jeu conduit à un seuil de saturation qui élimine le leurre d’une toute-puissance individuelle. 
C’est ainsi que, de l’ensemble de cette alchimie excitation-précarité, découle la reconnaissance de l’autre, non plus en tant qu’adversaire mais en tant qu’être autonome. Cette réalité effective engendrera le partage et la compréhension d’une réalité affective qui devient la matrice précieuse de tout échange interrelationnel.


 

 

 

> Lire d'autres articles