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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Les attributs de l'Univers


Pour Henri Poincaré, les mathématiques révèlent au physicien « la seule langue qu’il puisse parler » : il s’agissait pour ce fameux mathématicien français du XIXème siècle de considérer la mathématisation comme un référent absolu. Certains de ses contemporains ont décrié cette forme de prosélytisme ; ceux-ci appuyaient leurs constatations sur les dérives connues de la Logique formelle, précepte qui sévissait déjà au Moyen-Âge. Ces conceptions dites instrumentales pouvaient abusivement laisser envisager que le maniement subtil de formules savantes aboutirait à ce que l’Homme domine la nature en sondant les secrets de l’Univers...

Si pour les Pythagoriciens, «les nombres gouvernent le monde», postulat plus qu’anticipatoire, il n’en demeure pas moins que les concepts mathématiques, leurs déductions, leurs preuves, leurs démonstrations, leur intelligibilité, ne sont possibles que mis et proposés en rapport étroit avec l’Univers ! Structurés par la pensée, les calculs, tout aussi poussés et fiables soient-ils, reposent sur une complémentarité spatio-temporelle. Ce continuum que nous nommons espace est en fait, et avant tout, un attribut physique de l’Univers.

Les conceptions réalistes

De façon plus pragmatique, il s’agit donc de quitter une théorie idéaliste qui dissocierait l’Homme, son psychisme et son raisonnement, du Tout. Ainsi, 2 + 2 = 4 : si nous pouvons dire que 4, le résultat, est juste, nous ne pouvons pas affirmer que c’est vrai. Au mieux nous pouvons le supposer. À ce sujet, Albert Einstein disait que « pour autant que les propositions de la Mathématique se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et, pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité »... N’en déplaise à l’être humain, ambitieux et soucieux de l’image valorisante qu’il cherche systématiquement à renvoyer, la certitude mathématique demeure hypothétique. Ce que nous rappellent sans cesse les grandes catastrophes naturelles, telle celle connue en Asie en décembre 2004. L’humilité est donc de mise, comme pour toute conception réaliste. C’est ce qui se passe aussi dans les démonstrations apagogiques qui contrecarrent une proposition absurde. Ce procédé se retrouve dans toute guidance de cure analytique en tant que processus régressif indirect. Au lieu d’établir le sens même du travail en partant du symptôme, c’est-à-dire d’une sorte de conclusion facilement identifiable et surtout étonnamment démonstrative, « rassurante » pour l’analyste, il s’agit de révéler une contradiction ; celle-ci s’impose à la faveur de la mise en place de couples d’opposés, modelés par l’inconscient de l’analysant. Emprunter ce labyrinthe libidinal conduit habilement à l’impossible, soit à l’inavouable. C’est ainsi qu’il est alors envisageable d’induire au patient que ses récits, et tout ce que ceux-ci génèrent au quotidien, sont erronés puisqu’ils reposent en fait sur des histoires arrangées d’un autre lieu, d’une autre époque. L’émergence de la vraie personnalité s’impose donc de la sorte : la contradiction omniprésente dans la cure aboutit au principe de réalité, sans fioritures, sans aménagement confortable, sans complaisance, sans optimisation.

La systémique

La systémique considère un fonctionnement complexe qui s’étudie selon une interrelation de dépendance : très schématiquement et pour exemple, les faits sociologiques ont besoin d’un Etat, lui-même ayant besoin de la société et de ses états. Selon ce principe, des re- schématisations s’enchaînent sempiternellement. Les scientifiques ont d’ailleurs pour habitude de dire que l’évolution est une sorte de bricolage récurrent dans la mesure où elle ne fait du neuf qu’avec du vieux ! L’hypothèse heuristique forge quelque peu ses travaux selon ce principe, cette discipline ayant pour but de servir le monde des découvertes au départ de démonstrations précises de la recherche scientifique. En revanche, où le projet humain devient audacieux, c’est au moment où l’Homme décide de s’accommoder d’une approximation naïve car, si la culture agricole a besoin du savoir-faire de l’agriculteur, elle a aussi besoin du soleil qui, lui, n’a pas besoin de la récolte ! Cependant, l’Univers continue de nous assurer chaque jour de ses rouages systémiques. Lavoisier, à sa façon, illustre l’impossibilité absolue de fabriquer de la matière, utilisant une affirmation devenue célèbre : «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». Ainsi, l’interdépendance finit-elle par nous inscrire dans une sorte d’intemporalité qui conditionne notre existence bien malgré nous. En outre, l’illusion est grande de vouloir améliorer les savoirs ancestraux qui, eux-mêmes, pouvaient nourrir une illusion identique de modernisme. Effectivement, l’Univers était là bien avant nous et la sagesse voudrait que nous ne l’oubliions pas. Percer les secrets planétaires ne peut que renvoyer l’individu à ses limites du moment.

La quête atemporelle

Plus qu’une quête intemporelle, l’humanité voudrait ne pas avoir à se soucier du temps. De fait, elle s’initie aux mouvements systémiques de l’Univers et se maintient sous l’influence de celui-ci. Envahi par sa peur de mourir, l’être humain est séduit par ce monde qui bouge paradoxalement dans une sorte d’immobilisme : il a été, il est, il sera. L’Homme cherche à rester en piste de la sorte, voulant s’identifier à l’Univers, alors – et c’est une évidence – que l’Univers n’a pas besoin de faire la même chose avec lui ! L’individu garde ses réflexes primaires : tout-petit, il s’identifie à l’objet animé qu’est alors sa mère qu’il ne peut encore appréhender comme sujet. Toujours en mouvement pour ne pas mourir, l’Homme s’agite sans cesse. Françoise Dolto rappelait d’ailleurs que demander à un petit enfant de ne pas remuer angoisse beaucoup celui-ci car, pour un jeune inconscient, rester immobile revient à être très proche de la mort... La quête atemporelle utilise largement la capacité inconsciente à voyager dans un monde complètement abstrait, où tout est possible, notamment grâce à l’imagination. Inutile bien sûr de rappeler que les grandes « découvertes » s’originent dans cette vacuité, ce manque énergétique fécond. Cependant, c’est là aussi que se déclenchent les déformations identitaires et leurs cortèges d’identification. Il n’existe pas de possibilité, dès lors, d’envisager le système planétaire autrement que pris dans une rythmique qui n’est pas sans rappeler les bercements de la période de gestation dans lequel l’embryon, puis le fœtus, baigne, enveloppé dans une similitude limbique. Effectivement, on le vérifie encore : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les premiers mois de la conception se passant dans une sphère, cette mémoire sphérique nous donne bien des permissions, y compris celle de nous confondre avec l’Univers. Le mimétisme devient tangible avec le système en lui-même. Être atemporel (et le rester) régit la vie de l’individu, ce qui entraîne une confusion de plus, alors que l’Univers et sa systémique ne nous autorisent pas à nous imaginer maîtres de l’Univers.

Une loi parfaite
Le système planétaire, la végétation, l’Homme et leurs symétries respectives poussent toujours davantage à explorer nos impulsions perfectibles. C’est pour cela que la symétrie nous entraîne à penser que le corollaire inversé de beau est parfait. La grande crainte de l’Homme est de découvrir l’inverse. Cependant, cette menace auto-induite nous tarabuste simplement pour que s’ouvre notre sensibilité, chaque jour davantage. Influencés par la systémique universelle, nous voilà obligés et contraints à la théorie de l’évolution : la victoire du moi. Pour cela, l’être humain repousse davantage encore ses limites. Cette loi est parfaite dans son immuabilité, particularité complexe et néanmoins précise que recherche justement tout individu. Curieux paradoxe quand on sait que nos tendances envisagent qu’avec le temps, tout devient possible. Pas question donc d’admettre la fin du monde, même si certaines modes nous l’annoncent régulièrement.
Ainsi, si toutefois l’Univers nous influence, voire nous contamine, bien malgré lui, cette épidémie, à la faveur de nos désirs pérennes, active une imagination débordante que nous mettons souvent à profit du plus grand nombre. Héritiers privilégiés d’un immense système qui a tout inventé pour nous, nous savons maintenant que le cerveau, s’il n’est pas originellement conçu pour croire, a pour allié l’inconscient, disposé en permanence à imaginer, ce qui devrait n’enclencher que de bonnes perspectives. C’est alors que l’on peut accepter une incontournable différence : même si nous faisons partie de l’Univers, nous ne sommes pas l’Univers. La diversité est mouvement de la vie. D’ailleurs, dans son excellent ouvrage «L’empire du temps», paru chez Robert Laffont, Peter Galison nous rappelle simplement que « les alchimistes-astrologues du Moyen-Âge disaient » : Baissons les yeux pour voir le ciel, levons les yeux pour voir la terre. Cette conception du savoir nous convient à merveille. Car, en baissant les yeux (vers le réseau des horloges régulées de façon électromagnétique), voyons ce qui se passe en haut: la configuration des empires, la métaphysique et la société civile. En levant les yeux (vers la philosophie d’Einstein, vers la simultanéité du Poincaré), nous voyons ce qui se passe en bas : les fils conducteurs, les dispositifs instrumentaux et les impulsions électriques. Nous découvrons la métaphysique dans les machines et dans les machines la métaphysique. Bref, la modernité, à l’heure exacte.

 

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