chantal_calatayud

A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

ouvrages-publications-chantal-calatayud-directrice-institut-psychanalyse-ifpa

 

Marchons sous la psy !

Prenons un homme. Pas au hasard tout de même. Sigmund Freud, le maître de la Psychanalyse. Ajoutons un concept célèbre postulé par ce génie des rouages inconscients : l'objet. Imaginons alors spontanément un objet qui – quel qu'il soit – sera assimilé de facto au plaisir et à la satisfaction. Une chaussure se dessine dans les limbes libidinaux. Choisissons un modèle, une matière, une hauteur, une posture, une cambrure. De façon magistrale s'impose un escarpin en python. Et quoi de mieux qu'un escarpin en python pour exprimer ce qui ne se dit pas ?

Ce contenant narcissique sait déjà qu’une exquise créature, à un moment précis de son existence amoureuse ou sociale, quand la séduction devra s’imposer comme une arme implacable, jettera son dévolu sur lui. Ni panique, ni anxiété cependant dans ce regard du chaland dirigé vers cet objet du délit qui, tel un rayon laser, s’approprie ainsi – sans obstacle – le résultat du génie créateur : la mémoire universelle de la conception. Ce peau à peau charnel nous rassure car tout droit sorti des propres refoulements psychiques de l’artisan. Ça nous parle ! Le résultat est sans appel : le cuir – à la manière d’un subtil épiderme – met tous nos sens en éveil. L’olfactif se déclenche paradoxalement, entraînant une régression jouissive vers cet état de gestation où la captation passive de l’ovule a fait prisonnier le spermatozoïde pourtant héroïque. Le flagelle n’y survivra pas.

L’escarpin en python restitue avec audace et revanche le combat le plus déloyal de la destinée humaine : un accouplement implicitement tentaculaire dont la vie émerge à coup de divisions cellulaires. De ce souvenir intra-utérin jaillira une injonction : avancer et conquérir. Le serpent, symbole phallique évident, le sait aussi lui dont la caractéristique première est la prédation. L’exception existe toutefois avec le python royal qui se fait remarquer et apprécier par sa… docilité ! Le confort psychologique par excellence qu’un assemblage agile de matières complémentaires offre – sans aucune anarchie – à l’heureuse élue. Elle s’élèvera soudain de douze centimètres grâce à un talon qui l’ancrera dans les certitudes de la nécessité à inviter l’humanité à en faire autant. De face, de profil, de dos, l’escarpin du XXIème siècle reflète dans le miroir la stratégie du déplacement réussi. Ainsi livre-t-il, à qui veut bien les saisir, des messages quasi ontologiques. Point de tropisme véritable donc ici. Tel l’échassier qui n’a aucunement l’intention de s’embourber reconnaissant la force tranquille de la souplesse du roseau, la chaussure à talon très haut, sous les mains expertes de son inventeur, impose une courbure qui invite à s’adapter continuellement, tout en préservant indépendance et liberté. À l’instar de Buddhadeva Bassu, rappelons-nous que « L’avenir, déjà en courbe, soufflait dans les voiles en forme de grossesse », histoire de ne jamais oublier qu’au commencement se trouve en germe l’extravagance de vouloir se redresser progressivement pour (se) tenir debout. La plante des pieds le confirme, elle qui n’est que duplication mémorielle et prolongement d’une colonne vertébrale articulée, elle-même reliée à la mobilité des gamètes incrustée dans l’imaginaire. Cette voûte plantaire exulte dès l’instant d’ailleurs où elle s’accouple avec la peausserie sur laquelle est gravée l’identité conceptuelle et souvent éponyme du chausseur ou autre bottier.

L’escarpin (en python) ? Il y a bien longtemps qu’on ne peut se passer de lui… Synonyme d’inspiration et de savoir-faire, sa réputation – toute sulfureuse qu’elle puisse être – ne supporte pas le moindre professionnalisme impersonnel. Le talon haut reste – au fil des décennies – l’incontournable témoin de l’esthétique du pied. Virtuose de l’épure apparente, irrévérencieux à ses heures, intemporel, il a l’art de nous faire croire qu’il nous a toujours attendues. Il brouille les pistes, crée une angoisse de dépossession quand il n’est pas à notre taille, cultivant ainsi le fantasme que, décidément, il nous faut trouver chaussures… à nos pieds ! Il joue sur les mots, accentue la recherche du paradis perdu, ballotte nos humeurs, un dressing sans escarpin nous condamnant à errer dans les affres de la menace de ne pas être vue quand il faut, comme il faut, par qui il faut. Nos mères ont porté cet objet de désir, nous en portons, nos filles nous les empruntent et oublient de nous les rendre. Heureusement, question d’étiquette : la cruauté s’arrête là puisqu’au détour d’un shopping sur une avenue prestigieuse, dans une vitrine tout à coup magique, il est là, à nouveau accessible, disponible, égal à lui-même, à la hauteur de sa démesure. L’escarpin chasse d’un coup nos désillusions étant conçu pour atteindre les sommets. Sublime. Tout simplement.

 

> Lire d'autres articles