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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Découvrez gratuitement ici
la version en ligne du livre de Chantal Calatayud

" Les secrets de la longévité d'un couple "

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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Les couples qui durent existent et sont même légion…
Qui sont-ils donc ces heureux élus qui traversent leur existence sans rien vouloir montrer d’exceptionnel dans leurs attitudes amoureuses ? Qui sont-ils donc encore ces individus en voie de disparition qui s’aiment depuis plusieurs décennies ? Qui sont-ils aussi tous ceux qui, après être passés devant Monsieur le Maire – ou pas –, ont pu finir par faire de leur quotidien à deux une sorte d’évidence banale déroutante : celle qui déclenche chez bien des exclus de ce registre incontestable d’une forme de bonheur enviable le désir d’y accéder ?
Cet ouvrage répond clairement à ces questions en utilisant des situations conjugales concrètes. Ici, le fil conducteur ne fait jamais l’impasse sur le fait que le plaisir à vivre à deux existe en son principe à deux conditions : d’une part de façon manifeste (bonne humeur, drôlerie, humour, joie), d’autre part de façon muette (paix, stabilité, équilibre). Les couples heureux dans le temps le savent et invitent à faire comme eux...

 



 

 Chapitre VIII

L’intelligence du cœur

 

La logique veut que la connaissance découle de l’intelligence. Notamment dans la démarche scientifique. Ce qui faisait dire à Alfred Fouillée, professeur de philosophie, maître de conférence au XVIIIème siècle, « S’il est honnête à un naturaliste de se servir d’un microscope sans en connaître le mécanisme, il ne l’est pas moins à un Homme de nos jours de se servir de l’intelligence sans en connaître les lois ». L’intelligence du cœur n’échappe pas à ce raisonnement.

Depuis longtemps maintenant, l’humain s’efforce d’observer le lien qui relie tout organisme vivant et le milieu dans lequel il évolue. Ce qui a permis de vérifier constamment que ce rapport étroit restitue une alternance d’équilibre stable et instable. Cette interaction requiert donc une adaptation qu’il est nécessaire de revisiter et de revoir régulièrement ; ceci objective que l’intelligence elle-même est soumise à des variations.

· Catherine, médecin, souffrait beaucoup que son ami, biologiste, lui assène à chaque désaccord : Elle est bête celle-là…. Compte tenu de la profession des deux éléments du couple, la formulation sévère semble à la fois ridicule, déplacée et idiote ! Ainsi, l’intelligence peut traduire et exprimer, sans détour, une structure encore immature à l’âge adulte. Autrement dit, dès qu’un obstacle surgit, selon la maturité pulsionnelle de l’individu, deux axes s’imposent : soit une désadaptation révélée par de l’agressivité, soit une acceptation, voire une approbation à vouloir comprendre la genèse de l’inadéquation du moment. Dans ce dernier cas, et un peu à la façon philosophique du XIXème siècle d’Abel Rey, « la conscience évolue et se développe sous l’influence des exigences pratiques et en relation étroite avec l’évolution biologique ». D’ailleurs, avant d’être homo sapiens (homme qui pense), l’individu a été homo faber (homme qui fabrique). Curieusement, les contraintes environnementales n’ont cessé d’aider l’intelligence à se développer. Mais, comme l’induit Henri Bergson, autre philosophe français, l’intelligence humaine a quelque chose d’étonnamment défensif, de conquérant, d’offensif même. Cependant, les pulsions d’auto-conservation travaillant en étroite collaboration avec les exigences vitales, n’allons pas imaginer que l’affectif et la sensibilité ne puissent coopérer avec l’intelligible. À nous, toutefois, de ne pas faire en sorte que l’activité organisatrice subtile exclut le registre sensitif.

Une partie de la société d’aujourd’hui n’est pas très tendre avec ce que l’on appelle le développement personnel. Bien des psychothérapies viennent de cette grande famille qui a pourtant donné la possibilité à de nombreux consultants de prendre conscience de leurs erreurs de communication émotionnelle et de comprendre la racine du conflit.

· Diane, à la suite d’un séminaire de Gestalt, m’a rapporté qu’elle avait saisi l’importance de différer l’annonce de ce qui la faisait pester lorsque son mari rentrait du travail :

Quand Yves oubliait de descendre la poubelle le matin, je n’attendais même pas qu’il ait refermé la porte le soir pour lui reprocher d’avoir dû m’occuper des ordures ménagères à sa place. Nous commencions la soirée dans les reproches mutuels et les hurlements. Maintenant, lorsqu’en partant, il oublie l’objet du délit, je le lui tends avec un grand sourire, lui fais un gros baiser, lui dis merci en lui souhaitant une bonne journée

Les psychothérapies ne sont pas avares d’exemples pratiques, participant à l’inventivité individuelle et collective. Découvrir véritablement ce que la psychologie nomme communication ouvre une grande fenêtre sur l’invention d’idées, source narcissique intarissable.

· Flavien, comme beaucoup, est resté prisonnier d’un fonctionnement ancien qui dégradait ses rapports amoureux. Ce processus, sorte de loi dite de rédintégration, génère des comportements récurrents sans discernement. Par voie de conséquence, cette homme – marié depuis dix ans – tombait dans une routine qui faisait que son épouse lui devenait de plus en plus indifférente. Elle aussi inclinait discrètement vers une banalité du quotidien. Flavien reprochait à Malika sa vulgarité, elle lui en voulait d’une paresse intellectuelle. Ceci se passait sur un ton monocorde aux allures de résignation. Vivotant des revenus d’une laverie dont ils s’occupaient aussi mal l’un que l’autre, leur nonchalance fut stoppée net à la suite d’un incident de rue : le problème des banlieues s’était aggravé, les voitures flambaient et la vitrine de leur magasin avait été dévastée. Mal assuré, le couple n’avait pas d’autre moyen que de réagir. Un peu à la façon d’une métaphore, Flavien établit un lien entre briser la routine (vitrine brisée) et se libérer de ses anciennes chaînes (ouverture liée à la devanture cassée). Les conjoints se sont alors inscrits dans un renouveau en bonne intelligence. Flavien dit aujourd’hui que grâce à ce préjudice matériel, il a quitté la répétition obsédante. Jusque-là, avoue-t-il, il n’avait jamais réinventé son travail. Ses parents avaient autrefois un pressing : il menait son commerce quasiment à l’identique…

À l’opposé de la répétition, l’intelligence du cœur exige une mobilisation énergétique inventive :

  • Une volonté de dissoudre les schémas dépassés du passé
  • ce qui « liquide » les confusions affectives (œdipiennes) et donc les conflits amoureux.
  • Une pensée libre qui active perpétuellement le mouvement de l’imaginaire
  • ce qui transforme fantasmes et fictions positives en réalités heureuses, y compris les situations ordinaires conjugales qui deviennent extraordinaires.
  • Un certain courage à cultiver le paradoxe pour « s’affranchir de la tyrannie du tout fait », comme le philosophe Boivin l’explique dans sa « Pensée intuitive »
  • ce qui prouve aux conjoints que leur union est décidément passionnante.

Ces trois temps appellent une réorganisation structurale de la vie amoureuse : une transposition régulière de chacun qui doit sortir de sa place habituelle.

Efficaces sont ainsi les jeux de rôle, quelle que soit l’école qu’ils représentent, qui invitent pour la bonne « cause » à forcer le trait, à caricaturer le quotidien : ces exercices de groupe imposent l’insolite comme possible dégagement et dépassement du problème qui fait alors l’objet d’une mise en miroir sur une scène où les actants sont également les spectateurs. Les résistances, grossies par l’écoute et le jeu des regards extérieurs, se diluent : ce « passage à l’acte » innovant, imaginatif (bien que s’appuyant sur du réel), créatif, grâce à une conversion imagée de la difficulté relationnelle, concrétise la  part sombre, abstraite, cachée, refoulée, enfouie, démoniaque du plaignant. La traduction de la gestuelle, des cris, des rires, des pleurs, des étouffements, des murmures, sont autant d’éléments analytiques parlants pour le conducteur du jeu de rôle.

 · Étienne a beaucoup appris du théâtre « Play back » :

En visionnant ma participation, m’est apparu évident que je ne savais pas aimer. Émilie m’avait quitté sur ce type de reproches. Elle avait raison. Une scène m’a convaincu de mon inaptitude à l’amour jusqu’à ce travail sur moi : Élisa – qui mimait Émilie en fonction de ce que j’avais essayé de restituer d’elle au plus près de mon honnêteté sentimentale – tenait un tableau imaginaire que je désirais accrocher au mur. Chaque fois qu’elle bougeait « l’œuvre » selon mes indications, ça ne me convenait jamais. Là, je sentais une révolte monter en moi que je n’arrivais plus à contenir. J’injuriais carrément ma collaboratrice de plateau. Le terme « débile » revenait systématiquement dans mes propos odieux… C’est ainsi que j’ai pu identifier ma confusion affective : ma sœur Inès, trisomique, « débile », décédée lorsque j’avais 4 ans. D’ailleurs, Émilie a 4 ans de plus que moi

Cette clairvoyance appartient à l’intelligence du cœur mais encore faut-il avoir suffisamment de sympathie pour soi et pour l’autre pour que ça fonctionne ! D’autant que comme Jean-Jacques Rousseau le décline, « il faut du temps et des connaissances pour nous rendre capables d’amour : on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfère qu’après avoir comparé »… Les bases sentimentales restent donc mouvantes mais, à l’instar des amoureux au long terme, à vous de faire de cette forme de menace potentielle une passion féconde. Schématiquement, faites attention à votre grand amour !

Je me souviens d’un voyage en Syrie, sous forme de circuit touristique mené par un guide. Les arrêts, liés aux monuments et au riche passé historique du pays, étaient nombreux et fréquents. Un couple m’avait interpellée agréablement dans la mesure où lui, tout en écoutant attentivement les explications données par le guide, avait toujours un regard affectueux sur elle dès qu’elle s’éloignait. Un sentiment de sécurité se dégageait de cette attitude protectrice non aliénante.

Vous aussi, Monsieur, adoptez autant que vous le pouvez, ce genre de comportement. Couvez du regard l’élue de votre cœur. Vous apprécierez rapidement cette heureuse mutation.

Recevoir les marques d’attention demande cependant de s’y préparer un peu afin de ne pas voir dans cet intérêt qui nous est destiné et porté une réaction jalouse, importune et incongrue de la part de l’affectueux émetteur.

Je faisais il y a une quinzaine d’années du bénévolat avec Lucien, alerte septuagénaire à l’époque. Pour des raisons pratiques, beaucoup de nos réunions se déroulaient à son domicile où Georgette, son épouse, un peu plus âgée que lui, nous aidait activement. Leur délicieux duo restera à jamais gravé dans ma mémoire. Lucien dégageait un respect rare pour sa femme après un demi-siècle de vie conjugale. Il se souciait – sans aucune pesanteur – de sa confortable installation dans le fauteuil, de la bonne qualité de l’éclairage, de sa fatigue possible, de la suffisante température de la pièce… Tout cela avec une légèreté douée d’un naturel sans recherche de mauvaise séduction. Un jour où, admirative, j’en parlai avec Georgette en l’absence de son mari, elle me regarda étonnée :

- Votre gentil Vincent (mon mari) n’en fait pas autant pour vous ?

 Cette agréable grand-mère m’a transmis à cet instant le merveilleux rôle du bon choix de ces qualificatifs anticipatoires qui font toute la différence : attentionné, bon, courtois, délicat, tendre… Je vous laisse susurrer tous ces jolis adjectifs qui bloquent de facto une intention malveillante à l’égard du partenaire. Ces particularités bienveillantes grammaticales préparent à recevoir le meilleur qui sera au rendez-vous, sans exception, chaque fois que vous vous y préparerez.

Vous, Madame, apprenez à recevoir toutes les belles attentions qui nourrissent les couples heureux en utilisant ces qualificatifs revalorisants de la littérature romantique.

Il est vrai que le XVIIème siècle prisait ces effets langagiers. Le XIXème siècle les a progressivement délaissés, le XXème pour ainsi dire abandonnés ; quant à ce XXIème siècle naissant, on ne peut pas dire aujourd’hui qu’il se dirige vers le grand retour des « Précieux » pas si ridicules que ça à la réflexion… Plus une langue s’appauvrit, plus elle véhicule de la violence et en oublie l’alchimie du langage du cœur et autres tournures discursives aimantes. L’amour ne peut sanctionner l’être humain enclin au bienfait. Mais on entend ici une ambivalence redoutable qui, si elle s’infiltre pernicieusement, peut transformer l’amour en malfaiteur et en « maltraiteur ». Dans un même ordre d’idée, l’inconscient maltraitant intimera quelques lapsus linguae qui balaieront tout espoir de bonne continuité sentimentale : d’honneur à horreur, une langue mal intentionnée accompagnera difficilement le cas de conscience.

Lors du Salon Du Livre Psy que la société Psychanalyse Magazine organisait à Paris et en tant que directrice de cette manifestation, je devais recevoir un conférencier. Sans aucune explication ni excuse, celui-ci nous a fait savoir par son attachée de presse, très gênée, une demi-heure avant sa prestation, qu’il ne viendrait pas… Il a fallu rembourser les participants, sans pouvoir leur donner la moindre justification de l’annulation, justification qu’ils étaient en droit de demander… Pour rester correctes vis-à-vis de toutes ces personnes, venues pour certaines de très loin, une psychanalyste associée et moi-même avons remplacé le conférencier – gratuitement – selon un thème proche de celui qu’il devait initialement développer. Nous avons passé une heure et demie délicieuse avec une assistance remarquable, agréable, passionnante, qui a joué le jeu, dans une vraie démarche de pardon. Mais l’histoire ne s’en arrête pas là…

Il y a quelques semaines, une de mes relations professionnelles m’a appris que ce conférencier, aujourd’hui gravement malade, avait suspendu la plupart de ses activités professionnelles. Je n’avais plus vraiment pensé à cet homme depuis son désistement, en dehors de deux ou trois émissions télévisées psy aux quelles il participait. Lorsque j’ai connu son mauvais état de santé, je n’ai pu qu’imaginer l’abandon psychologique dans lequel il pouvait se trouver car l’inconscient abrite une loi douloureuse : abandonner sciemment revient à être abandonné un jour psychologiquement.

Cet homme avait eu le temps de nous adresser un simple petit mot urbain, chaleureux, à la suite de son absence du Salon du Livre Psy, il ne l’a jamais fait. Ses raisons ne m’appartiennent pas mais certaines professions (plus que d’autres ?) requièrent une fidélité incontournable, comme la psychanalyse, profession à laquelle cet homme appartient : Ce que je dis je le fais ; empêché, je préviens… L’intelligence du cœur a son propre système de valeurs. Pascal, le philosophe, lui-même le spécifie : « Pour reconnaître si c’est Dieu qui nous fait agir, il vaut bien mieux s’examiner par nos comportements au dehors que par nos motifs au dedans »…

Je sais ce conférencier marié à une psychanalyste très médiatisée, qui voyage beaucoup. Ma propre réflexion m’a conduite à imaginer maintenant les répercussions sociales sur elle de l’épreuve somatique de son époux : la moralité insuffisante ne concernant pas uniquement la conscience individuelle, elle a aussi une influence néfaste alentour.

Ainsi, les conjoints fidèles aux liens sacrés qui les a unis (même hors union légale) se parlent suffisamment pour qu’une faiblesse comportementale morale de l’un soit censurée, « rattrapée » par l’autre. Ces règles complémentaires appartiennent à la science positive des mœurs, d’où leur particularité synnomique (du grec syn : ensemble et nomos : règle). À l’inverse, lorsqu’on dit « À chacun son éthique », il y a destruction du principe même d’éthique ou « À chacun sa moralité », il y a destruction du principe même de la moralité. Dans le même ordre d’idée, si une compagne réagit négativement, condamne le comportement antisocial de son compagnon, elle devra faire l’effort de retrouver avant de le réprouver, une situation identique qu’elle aura honorée, quelle qu’ait été la difficulté. Les couples qui s’entendent bien ont une juste idée de la norme qu’ils remanient en fonction des conditions imposées par tout ce qui est extérieur à eux mais les concernent, les « regardent ».

Une de mes patientes, Laurence, myope, consultait régulièrement son ophtalmologiste. Celui-ci, un homme presqu’à la retraite, qui la suivait depuis fort longtemps, lui dit qu’elle relevait de séances d’orthoptie, rééducation oculaire nécessaire dans des cas de strabisme, en particulier. Surprise, très étonnée, le médecin lui expliqua succinctement que sa belle-fille la prendrait en charge pour ce travail. Elle obtempéra, commença sa rééducation. La spécialiste lui demanda si elle avait des enfants. Oui, effectivement : quatre garçons qui eurent soudain droit au même traitement orthoptique (!) puisque les troubles étaient reconnus comme héréditaires par la rééducatrice. Le mari de Laurence, travaillant à l’étranger quelques semaines à ce moment-là, informé par son épouse, ébahi par son récit, décida à son retour de rencontrer l’orthoptiste, sans aucune explication préalable faite à celle-ci. Il lui fut impossible d’obtenir un rendez-vous. Ceux du reste de la famille furent alors annulés dans la foulée par la secrétaire sous prétexte d’une indisposition passagère mais indéterminée dans la durée. La famille serait rappelée dès la reprise du travail de la rééducatrice, appel qui ne vint jamais…

Laurence n’a pas pu véritablement interpréter les raisons du comportement de la spécialiste mais elle en tire une conclusion très intéressante :

Quand mon mari a pris la décision de rencontrer l’orthoptiste, j’ai redoublé d’amour pour lui, j’ai senti une protection indéfectible de sa part. J’ai su que je pourrais toujours compter sur lui…

Ce récit est bien banal en apparence. Mais ma patiente a établi une association pertinente :

Mon époux m’a appris avec cet incident surréaliste à avoir l’œil, le bon, celui qui débouche sur l’amour désintéressé. J’ai senti au fond de moi que l’intelligence du cœur se passe des richesses matérielles mais pas des richesses de l’âme. Je n’ai plus été inquiète de nos finances qui fluctuaient avec nos nombreuses bouches à nourrir, nos enfants à vêtir et à accompagner dans leur scolarité. J’ai compris aussi que l’amour veille sur nous-mêmes, y compris à des milliers de kilomètres…

En outre, les vieux moralistes assimilaient la sagesse à la prudence, en tant que vertu fondamentale de l’intelligence. Pour la cultiver, point d’héroïsme ! La tempérance fera l’affaire en tant qu’elle module les nécessités et les désirs inhérents aux besoins corporels, de quelque ordre qu’ils soient : ce mari, tenu éloigné de sa famille par obligation, a ressenti que l’orthoptiste ne respectait pas le corps bien portant de ces patients. C’est en ce sens que Laurence a apprécié – sûrement très inconsciemment – la réaction de son partenaire. Tout comme la parenté implique la moralité, ce que l’on considère comme de l’amour prend en compte un lien d’individu à individu, une communication en face à face.

C’est en ce sens que je m’insurge contre quelque(s) amendement(s) plus ou moins récent(s) voulant s’attaquer à la psy (je choisis volontairement cette réduction, cette castration) car ces psys (3 millions de patients satisfaits en France hors champ médical !) travaillent justement en face à face, dans une intimité où les couples fantasmatiques qui sont projetés sur « le sujet-supposé-savoir » se font, se déforment, se reforment, se redéfont pour se déliter dans la démesure des mots et des maux de l’analysant. Tout simplement parce que dans son psychisme, au début du travail « psy », tout était discordant : l’intelligence d’un côté, le cœur de l’autre. Au fil des séances, ces deux « objets » s’apprivoisent, copulent, pour enfin considérer la globalité de l’être, de tous les êtres qu’ils réunifient par la même occasion.

Est-ce de cet acte citoyen dont certains politiques voudraient priver le pays ? C’est ceux-là mêmes qui devraient revoir leur copie car ils ont oublié – semble-t-il – que l’amour transmet et pérennise la tradition nationale, invitant le petit d’Homme à en faire autant : l’amour qu’il reçoit, tout en regardant les grands s’aimer, le porte sans révolte et sans risque vers les nobles causes humaines. Cet amour lui propose déjà les prémices d’une réflexion sur le monde dans une énergie d’union spirituelle. L’intelligence du cœur et de l’âme lui suggère une influence bénéfique sur la totalité de l’humain. Les statistiques montrent à l’évidence qu’une majorité de délinquants et de criminels sont issus de couples inaptes à l’amour, souvent eux-mêmes héritiers de familles difficiles…

J’ai eu le bonheur de rencontrer Lionel Poilâne, « le plus grand boulanger de France » à l’époque. Tout avait commencé par une interview destinée à Psychanalyse Magazine. Cet homme avait eu l’élégance de me remercier pour la qualité de la retranscription de ses propos et une relation très amicale s’était développée à partir de là. Il recevait régulièrement la revue en service presse et, lorsque j’allais à Paris, je l’en informais. Bien que surchargé de travail et de responsabilités, il s’arrangeait toujours pour que nous nous voyions ou déjeunions ensemble. Un jour, il a eu la gentillesse de me faire visiter l’entreprise Poilâne à quelques kilomètres de Paris. Ses employés étaient en place : il les connaissait tous, bien sûr, me les présentait en ajoutant à chaque fois un commentaire chaleureux sur ses collaborateurs. Alors devenu milliardaire, Lionel n’avait jamais oublié le difficile métier de boulanger de son père, de sa mère qu’il associait toujours dans ses anecdotes. Lorsque j’ai appris son décès tragique dans cet horrible accident d’hélicoptère, m’est revenue une question/réponse qu’il m’avait faite, lui qui s’intéressait même à la physique quantique :

On ne peut pas savoir l’influence – sur l’Afrique ou les Antilles ou d’autres pays – du battement des ailes d’un papillon au-dessus de la baie d’Along, mais il faut y penser…

Merci Lionel de m’avoir rappelée que le simple battement des ailes d’un papillon peut entraîner le chaos : j’ai renforcé ma certitude que seule l’intelligence du cœur, et toutes les alliances qui en découlent, participent non seulement à la durabilité de l’amour sincère entre deux êtres mais certainement aussi à la beauté de tout l’uni-vers. Un peu à l’identique du duramen, ce terme botanique – aux phonèmes explicites – qui considère l’imputrescibilité naturelle du cœur de … l’arbre…

 

 

Lire la suite ==> Chapitre IX

 

 

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