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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Découvrez gratuitement ici
la version en ligne du livre de Chantal Calatayud

" Les secrets de la longévité d'un couple "

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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Les couples qui durent existent et sont même légion…
Qui sont-ils donc ces heureux élus qui traversent leur existence sans rien vouloir montrer d’exceptionnel dans leurs attitudes amoureuses ? Qui sont-ils donc encore ces individus en voie de disparition qui s’aiment depuis plusieurs décennies ? Qui sont-ils aussi tous ceux qui, après être passés devant Monsieur le Maire – ou pas –, ont pu finir par faire de leur quotidien à deux une sorte d’évidence banale déroutante : celle qui déclenche chez bien des exclus de ce registre incontestable d’une forme de bonheur enviable le désir d’y accéder ?
Cet ouvrage répond clairement à ces questions en utilisant des situations conjugales concrètes. Ici, le fil conducteur ne fait jamais l’impasse sur le fait que le plaisir à vivre à deux existe en son principe à deux conditions : d’une part de façon manifeste (bonne humeur, drôlerie, humour, joie), d’autre part de façon muette (paix, stabilité, équilibre). Les couples heureux dans le temps le savent et invitent à faire comme eux...

 



 

Chapitre I

Des liaisons dangereuses


Une idée pas toujours judicieuse voudrait que l’on « devine » notre interlocuteur. Même si le projet n’est pas foncièrement malveillant, même s’il peut paraître humanisant, il contient son lot de pièges. Cette belle intention, sorte de sagesse amoureuse, mobilise en premier lieu trop d’énergie : être sur le qui-vive, les pavillons (auditifs) aux aguets, s’avère le « truc » à éviter absolument.

· Cécile, une analysante de 32 ans, a compris que si, dans tout lien, trop d’insouciance nuit, trop d’anticipation amène à l’opposé d’attentes plus ou moins justifiées. Son hyper vigilance dans sa relation avec Sylvain a démoli leur couple :

– Ma profession de psychologue m’a conduite très vite à utiliser mon écoute linguistique professionnelle pour surprendre mon compagnon. J’en étais arrivée à guetter ses moindres désirs inconscients pour les satisfaire, avant que lui-même n’en ait eu une véritable conscience. Je n’imaginais pas que mon plan de séduction se résumait à un positionnement purement intellectuel. Pourtant, il me prévenait régulièrement, gentiment, me disant que j’étais une « tête pensante »… Je n’ai pas vu venir notre rupture. Un jour où il me parlait de sa mère, j’ai éprouvé le besoin de lui demander le nom de jeune fille de celle-ci : Robby, me répondit-il. Et d’ajouter, fière de moi, en riant, « Elle est née Robby, elle est Nairobi ! »… Tu dois avoir des origines noires… Sylvain est entré dans une parano épouvantable. Très vite, les choses se sont dégradées entre nous. Jusqu’à déboucher sur notre séparation définitive puisqu’il m’a quittée pour une collègue de travail, d’origine guadeloupéenne…

Cet extrait d’une séance de psychanalyse objective combien l’art de communiquer doit s’imposer au quotidien. Effectivement, rien n’ira comme sur des roulettes tant que nous utiliserons avec le langage, ses mauvaises associations, ses liaisons discutables (nous venons de le voir) pour briller face à notre partenaire qui a, de toute façon, des projets affectifs peut-être plus élémentaires mais non moins primordiaux.

Il n’y a pas véritablement de théorie de l’apprentissage pour que la vie à deux soit un long fleuve tranquille. En revanche, un moyen simple et efficace, au service du bon équilibre du couple, consiste à se centrer sur les faits concrets et objectifs plutôt que sur des suppositions qui boostent le doute. Les bons réflexes pour que l’attraction amoureuse soit au rendez-vous sur plusieurs décennies n’appartiennent donc pas à des stéréotypes établis une fois pour toutes.

· Jacques passe pour un original. C’est lui qui le dit. Après une jeunesse tumultueuse, malgré des études de médecine qu’il a menées à bien, il a rencontré Gisèle, serveuse dans un restaurant parisien. Coup de foudre. À 52 ans, marié avec elle depuis 23 ans maintenant, père de jumelles âgées de 20 ans, il assure filer le parfait amour. Il n’a jamais trompé son épouse. Pourtant, sa famille, des générations successives de bourgeois installées à Neuilly depuis plus d’un siècle, ne désirait pas cette union :

– À cause de nos milieux sociaux différents ! Mais je n’ai pas eu à imposer Gisèle. Elle s’est imposée toute seule comme belle-fille idéale à mes parents. Pas uniquement parce qu’elle m’a rendu fidèle, stable et consciencieux. C’est elle qui, en fait, m’a fait grandir et mis sur un sillon essentiel : faire confiance à la vie qui, à tout instant, peut lever les résistances les plus démoniaques. Un jour où ma mère se lamentait parce que sa femme de ménage, malade, n’était pas venue comme à l’accoutumée, Gisèle a compris que pour ma mère, cette absence prenait des proportions que nous n’avions pas les moyens psychologiques de saisir. Pleine de bon sens, elle lui a juste suggéré que lorsqu’un employé fait faux bond, il donne l’occasion de constater qu’il n’est pas indispensable et qu’on peut soi-même le remplacer… Ma mère n’avait jamais vraiment réfléchi à cette évidence. Gisèle, tranquillement, a ajouté que ce type d’aléa nous fait prendre conscience que, dans la plupart des cas, nous avons toujours l’usage de nos membres et la chance de pouvoir nous en servir ! Ma mère, pourtant d’un tempérament très autoritaire, a remercié sa belle-fille d’autant de sagesse. Cet épisode de ma vie conjugale, et tant d’autres encore, m’ont permis de continuer ma route positivement, avec mon épouse. En outre, ce type de personnes nous contaminent joliment. Avec mes patients, à la moindre occasion, je dédramatise, je positive, je « renarcissise »…

Jacques résume assez bien ici que quelles que soient nos origines sociales, raciales, une communication fructueuse, au service de tout interlocuteur, s’établit solidement sur des formulations pleines de logique, venant prendre la place du vide, de l’angoisse, du sentiment d’abandon ressentis par le « plaignant ». Ces formulations mettent systématiquement en miroir tout ce qui nous est possible de faire en l’absence de n’importe quel « autre », y compris celle de notre conjoint.

Malheureusement, les liaisons dangereuses peuvent s’exprimer de façon plus sournoise, plus pernicieuse. Il n’y a pas que les malentendus qui abîment un relationnel à plus ou moins court terme. Il n’y a pas que les expressions, voire les intonations, auxquelles deux interlocuteurs peuvent accorder un sens tout à fait différent. Il existe ainsi, au service de nos « divorces » les plus démoniaques, l’utilisation d’associations de sujets, de thèmes qui s’appuient à la base sur un système de valeur mais qui, en fait, fabriquent de l’opposition systématique, tant ce qu’elles véhiculent touchent notre subjectivité, c’est-à-dire nos affects. En font partie la politique et la religion.

De façon systématique, les couples qui durent ne parlent que très rarement ou très superficiellement  de ces deux registres truffés de dynamite. Peut-être pensez-vous que toutes les sociétés connaissent des couples qui œuvrent pourtant main dans la main en politique notamment. Certes, mais leur couple est avant tout social, à l’ambition surhumaine. Tout le monde n’y a pas accès, être sur le devant de la scène politique ne concernant pas la majorité d’entre nous. Ainsi donc, beaucoup d’ « échecs de communion », pour reprendre l’excellente expression de Georges Gusdorf, l’éminent épistémologue disparu en 2000, vont utiliser comme vecteur de recherche de conflits Dieu et le… diable ! De façon habilement insidieuse. Il y a une raison bien entendu. Ces deux catégories auxquelles il est difficile d’échapper, puisque systèmes de croyances, de foi, de confiance, accompagnent de manière indiscutable nos jours et nos nuits. Nos rêves diurnes et nocturnes. Religion et politique abritent décidément des trésors d’espérance incontestables. Mais il y a un mais ! Selon que nous soyons détendus ou agités, ces deux axes symboliques activeront soit favorablement nos mécanismes de protection, soit défavorablement nos mécanismes de défense. Or, il est quasiment impossible que deux individus connaissent exactement le même état émotionnel à l’instant « t ». Même s’ils s’y appliquent, cas auquel ils sont obligés de faire des efforts, volonté qui majore alors les principes défensifs. La palme revient toutefois à ces moments qui nous font passer, au cours d’un repas de préférence, de la religion à la politique (ou vice versa).

· Véronique, catholique pratiquante, est mariée au maire du village. Elle assure des cours de catéchisme au sein de la paroisse. Un jour, raconte-t-elle en psychothérapie analytique, le curé de l’église s’est plaint du mauvais état de la toiture, induisant que des dépenses pharaoniques à ses yeux étaient le résultat de la mégalomanie de certains élus du canton… Véronique rapporta cette conversation à son mari :

– De ma vie, je ne me suis fait insulter de la sorte. Il a fallu que je réalise qu’après tout, la séparation de l’Église et de l’État était maintenant centenaire, pour envisager mon couple autrement. Je suis allée plus loin dans mes interrogations à partir de ce moment précis. Il est vrai que mon couple ne se portait pas bien. Par conviction religieuse, je fermais les yeux sur les infidélités de mon mari. Lors de cette dispute mémorable avec lui, liée aux problèmes de toiture, j’ai pris conscience de ses réactions émotionnelles : il hurlait, gesticulait, tremblait, pâlissait, rougissait tour à tour. Ce langage extériorisé, finalement très infantile, m’a fait comprendre que notre couple régressait et allait se casser la figure. J’ai véritablement réalisé ici mes erreurs. Et Dieu sait si elles étaient nombreuses. Tout m’est apparu évident : chaque fois que mon mari évoquait un sujet social, je m’empressais d’établir un mauvais lien affectif égoïste pour toute réponse. Par exemple, s’il me disait qu’une réunion à la mairie s’était mal passée, j’embrayais immédiatement sur son autoritarisme que je retrouvais chez lui même en vacances… Je défendais alors immédiatement, sans aucun recul, les personnes qu’il critiquait… Et j’enfonçais encore un peu plus le clou…

Véronique nous donne ainsi à voir comment elle se faisait l’avocat du diable. Cette autre forme de liaison dangereuse trouve tout de même une issue favorable dès lors que l’on quitte une opposition farouche sur fond d’esprit de contradiction et de récupération. Il suffit, à l’inverse, de développer ce que Max Scheler, philosophe allemand de la fin du XIXème siècle, appelle le sentiment d’unité. Ses travaux découlent d’ailleurs de certains principes énoncés par le fondateur de la Phénoménologie, Edmund Husserl. Scheler parle également de fusion affective et même s’il ne s’agit pas de développer une confusion identitaire, il est certain que tout interlocuteur a besoin de lier son moi avec celui d’un moi « étranger ». Il s’agit-là d’ailleurs du haut lieu de la psychanalyse qui parle d’identification, retrouvée aussi bien dans le lien mère/enfant, que dans cette relation fantasmatique et projective que l’enfant établit avec les personnages de ses jeux ou les animaux, ou encore chez le primitif qui anime le totem et bien sûr, dans toute relation à Dieu, aussi abstraite soit-elle. Le tout étant de ne pas sombrer dans la pathologie, même si le lien réel vient à faire défaut.

Pour que la dérive n’existe pas, comme l’a induit Véronique, il suffit de prendre conscience que tout homme, toute femme, tout enfant, a une vie intérieure identique apparemment à la nôtre mais comportant, en fait, de sacrées différences ! La communication des consciences ne peut en aucun cas faire l’économie d’une existence inconsciente chez chacun d’entre nous. Participer à la vie de l’autre requiert avant tout le respect de l’ « originalité » individuelle. La communion des esprits dans l’amour ne peut se sédimenter qu’en tenant compte, au fur et à mesure du temps qui passe, de ce consentement mutuel. Cette ouverture possède un germe valorisant qui conduit à quatre fondamentaux retrouvés systématiquement dans ces unions affectives qui traversent des épreuves inéluctables sans en subir le moindre préjudice (au contraire même) :

1°) – Objectiver ce qu’il y a de meilleur en l’être aimé.
2°) – Considérer ce qu’il (ou elle) a de mieux que moi dans toutes ses réactions.
3°) – Admettre (pour mieux les revisiter) le nombre de fois où mon partenaire a fait preuve d’une patience hors du commun avec moi.
4°) – Remarquer la discrétion de mon conjoint à mon égard chaque fois que celle-ci s’est exprimée ou s’exprime.

Mettre en exergue ces quatre capacités pousse à la méditation silencieuse jusqu’à l’imposer. Ainsi, ce qui se joue de plus efficace au sein de toute relation amoureuse qui défie le sablier, inévitablement renversé, relève de la compréhension (et de sa juste application) que communauté, solitude et introspection s’associent toujours et malgré soi selon une fréquence et un rythme qui cristallisent et renouvellent la passion : un vrai programme de bonheur !

 

Lire la suite ==> Chapitre II

 

 

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