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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Découvrez gratuitement ici
la version en ligne du livre de Chantal Calatayud

" T’es pas mon père ! "

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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Être père n’est pas facile. Mais ce lien de devoir qui unit un enfant à cet adulte, représentant de l’autorité, reste le fondement de ses futures conduites. Cependant, le petit d’Homme – encore immature – ne l’entend pas toujours sous cet angle protecteur. L’opposition est d’ailleurs au rendez-vous, de manière structurale, à des étapes charnières de son développement. Toutefois, d’autres facteurs de rébellion peuvent intervenir et perturber le psychisme de l’enfant.

Ce livre analyse, grâce à des exemples simples de la vie quotidienne, les raisons inconscientes de certaines résistances incompréhensibles pour les parents. En outre, l’auteur donne des attitudes à adopter pour que la révolte illogique – voire pathologique – cède enfin.


Chapitre II
I

Des mécanismes de défense redoutables

Malgré maintenant plusieurs décennies de solides conseils pour apprendre à communiquer avec son enfant, son adolescent ou les enfants (dans le cadre professionnel), on n’objective pas réellement de prodigieux progrès dans le comportement du futur adulte !

À en croire les statistiques, il existe toujours autant de profils rebelles – sinon plus – et ce, dès la maternelle, depuis une dizaine d’années… Ce qui est tout de même nouveau ! Dès l’école primaire, les enseignants dénoncent l’instabilité et la grossièreté de certains élèves, de plus en plus nombreux, constatent-ils. Quant aux lycées, ils sont le siège de combats permanents, la violence y régnant largement – aussi bien dirigée contre certains jeunes de l’établissement que contre les professeurs… Bien sûr, les sociologues parlent de parents immatures et irresponsables et de zones géographiques difficiles mais la question que l’on se pose devient récurrente au fil du temps : pourquoi toute cette bonne volonté médiatique, ou plus modestement sociale, au service de la famille, non seulement ne suffit pas mais n’endigue rien ? Pourtant, les émissions de radio, de télévision, les publications se multiplient, sans conséquences probantes rassurantes…

Si la bonne volonté est un agréable comportement, n’est-on pas tombé dans un piège énorme ? Celui d’imaginer qu’un sujet – et son inconscient – dès lors qu’il bénéficie (de préférence le plus tôt possible) de soins avisés, telle la plante qu’on arrose et surveille au quotidien pour qu’elle pousse bien et droite (surtout !), sera en bonne santé et suffisamment équilibré pour sortir, quelques 25 années plus tard, diplômé d’une grande école… Si ce cas de figure, toujours positif pour les parents (avouons-le !) existe et s’est développé avec l’évolution de l’humanité, tout individu ne peut pas s’inscrire fatalement dans ces perspectives louables et apaisantes. Un individu – comme ce terme l’indique – est unique. Il est probablement sur terre pour comprendre certains de ses agissements, comportements, réactions. Comme pour tout un chacun, se présenteront à lui des obstacles qu’il aura à franchir pour s’humaniser encore davantage. En sachant que quelques-uns n’y parviendront jamais mais que ceux-ci sont alors un miroir efficace pour les autres : ces récalcitrants nous permettent d’évaluer nos propres avancées puisque, sans différence, aucune évaluation n’est effectivement possible.

• Françoise a mis au monde il y a 14 ans Pierre. Le géniteur, marié, n’a jamais voulu reconnaître le petit garçon. Celui-ci s’entend plutôt bien avec Gilles, le mari de sa mère qu’il connaît depuis son entrée au CP. Pierre, bon élève de classe de 3ème aujourd’hui, vient d’avoir un problème avec la direction de son collège : lui est reproché d’avoir essayé de baisser le pantalon d’un copain, dans la cour de récréation, devant d’autres témoins ; l’adolescent ne semble pas comprendre les menaces de sanction ni les proportions que prend cette histoire – dont la convocation de sa mère par le chef d’établissement. Il explique dans un premier temps qu’il poursuivait l’agressé qui lui avait fait un bras d’honneur pour rigoler, dans un deuxième temps, il confie qu’il a voulu vexer la victime, voire lui donner une leçon. Le directeur lui demande, en présence de la mère, s’il avait l’intention de lui asséner une fessée. La réponse de Pierre fuse : Mon beau-père, ce con, il m’en a filé une quand j’avais 12 ans parce que j’avais planqué sa raquette de tennis que j’avais cassée. J’ai tellement eu la haine à ce moment que jamais je ne battrai qui que ce soit à cet endroit-là. Y’a que le père qui peut le faire ça…

Il ne convient pas, au travers de cet exemple, de discuter du principe même de la fessée. Il y a les pour et les contre, chacun y allant de son argumentation plus ou moins savante, autorisée, réfléchie et analysée. Ce qui est intéressant dans le réflexe verbal de Pierre, c’est qu’il réagit au déclenchement de son imaginaire dès que le supérieur hiérarchique fait allusion à une partie précise de l’anatomie : le postérieur, et qu’il y associe l’image négative du beau-père comme n’ayant aucun droit sur cette zone physique.

Indépendamment d’un interdit salvateur qu’il a intégré en terme de sexualité, la rage de l’ado est tout à fait justifiée d’un point de vue psychanalytique. Effectivement, ce que Sigmund Freud a nommé analité est le lieu libidinal qui correspond au « faire », en lien avec le mécanisme de défécation. Or, pour l’inconscient, le « faire » mobilise aussi les mains, la période anale renvoyant, entre autres, au moment de l’enfance où le petit d’Homme découvre le bac à sable, sable qu’il manipule alors en tant que matière. L’enfant entre dans cette phase essentielle de son développement entre 18 et 30 mois. Phase durant laquelle il se met véritablement en relation avec le père, celui-ci étant la personne qui « fait », donc qui travaille. Par cette identification, l’inconscient de la petite fille ou du petit garçon s’inscrit, à son tour, dans le « faire » : soit, Je fais comme papa (alors que jusqu’ici l’inconscient s’animait selon un Je dis comme maman).

Dans le cas de Pierre, pendant sa période d’identification au père, la mère vivait seule. Le psychisme de l’enfant de l’époque a développé des mécanismes de défense dans la mesure où, en l’absence de schéma paternel, il a dû se débrouiller pour aller s’étayer inconsciemment sur un homme, ou des hommes, de l’entourage, pour mettre en place et solidifier ses nécessaires apprentissages. Mais l’absence de géniteur laisse toujours des traces, le psychisme se voyant obligé alors de faire des efforts énormes pour établir un lien entre l’homme qui permet de « faire comme lui » puisque ce lien reste artificiel. Autrement dit, le vrai père sait ce qu’il a à montrer à son enfant car la loi paternelle possède ses codes propres et intimes que nul autre ne peut restituer. Dans le meilleur des cas, un grand-père, un oncle ou un voisin, en tant que substitut, reste à l’état de prothèse. C’est mieux que rien mais cette situation engendre systématiquement des blessures et de la révolte.

Pierre traduit très bien cette souffrance : le père absent, ce père manquant, a fait de son fils un être démuni : personne ne pouvant le remplacer positivement, il n’est pas question qu’un autre homme s’inscrive négativement dans le registre d’une autorité paternelle ! Ce rejet de l’autorité traduit ce qui ne s’est pas fait et entraîne de redoutables passages à l’acte qui flirtent avec ce qui ne se fait pas

Là se joue le drame d’une logique inconsciente individuelle qui entraîne parfois, lorsque les étapes nécessaires ne se sont pas déroulées logiquement, c’est-à-dire en raison de processus de remplacement ressentis comme maladroits, l’inverse de l’éducation qui a été donnée – aussi bonne qu’elle ait pu être… C’est cette détresse singulière subjective qu’il convient d’entendre, d’écouter, de comprendre.


 

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