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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Découvrez gratuitement ici
la version en ligne du livre de Chantal Calatayud

" T’es pas mon père ! "

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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Être père n’est pas facile. Mais ce lien de devoir qui unit un enfant à cet adulte, représentant de l’autorité, reste le fondement de ses futures conduites. Cependant, le petit d’Homme – encore immature – ne l’entend pas toujours sous cet angle protecteur. L’opposition est d’ailleurs au rendez-vous, de manière structurale, à des étapes charnières de son développement. Toutefois, d’autres facteurs de rébellion peuvent intervenir et perturber le psychisme de l’enfant.

Ce livre analyse, grâce à des exemples simples de la vie quotidienne, les raisons inconscientes de certaines résistances incompréhensibles pour les parents. En outre, l’auteur donne des attitudes à adopter pour que la révolte illogique – voire pathologique – cède enfin.


Chapitre VII

Stopper la dualité et exister

Les relations entre les parents et les enfants sont toujours – à un moment ou à un autre – difficiles. Et ce, quel que soit le contexte familial. Il ne suffit pas d’aimer son enfant pour que les choses se passent bien. Il ne suffit pas de lui donner le « meilleur » (mais c’est quoi au juste le « meilleur » ?) pour que le chérubin manifeste un comportement, miroir d’une éducation réussie. Il ne suffit pas non plus d’essayer de le comprendre psychologiquement pour échapper à l’échec scolaire, à la grossièreté de la crise d’adolescence, aux fugues, à l’opposition, à la rébellion, aux revendications, ou même à une certaine marginalisation… Pourtant, depuis que le monde est monde, que ce soit du côté de la famille, des maîtres, des éducateurs, l’humanité – main dans la main – se mobilise pour que le Commandement célèbre – Tu honoreras tes père et mère – se vérifie. Mais, après des siècles et des siècles de réflexion, de mises en application, de conseils avertis, lorsque le petit ange blond décide de se transformer en diablotin, puis carrément en démon, il n’existe pas le moindre mode d’emploi adapté. Car les modes d’emploi ne concernent que les enfants et les adolescents qui, à la base, présentent la capacité de rentrer dans le moule préconisé par la société. C’est-à-dire qu’ils conviennent à tous ces jeunes qui acceptent globalement le principe de l’uniformisation et de ses règles. Car, même si François Truffaut a eu le talent de restituer la difficulté pour un enfant non désiré, non reconnu par le géniteur, non aimé par la mère, avec son film culte « Les 400 coups », encore une fois, l’enfant en opposition à tout et à tous, souffre de ne pas s’autoriser à affirmer ce qu’il désire être fondamentalement. Et cela n’a strictement rien à voir avec l’amour maternel ou paternel, ni avec les interdits parentaux.

L’enfant qui part en guerre dès son plus jeune âge (on peut le remarquer très tôt – voire dès le berceau…) est un humain qui abrite un tel potentiel de créativité qu’il ne sait pas par quel bout s’y prendre pour commencer à exprimer sa personnalité. Souvent, celle-ci reste enkystée : l’inconscient de ce type d’individu, envahi par son imagination débordante, passe beaucoup d’énergie à vouloir équilibrer ses pulsions créatrices. Sans vrai résultat. Autrement dit, les parents et les professionnels de la santé n’ont pas grand’chose à voir avec cette impossibilité à s’imposer, ni grand’chose à proposer qui libèrerait ce sujet de lui-même. Quoi que l’on fasse, cet enfant en devenir de ce qu’il veut reste hermétique à toutes les propositions, à toutes les mains tendues, à toute l’écoute et l’attention qui lui sont prodiguées, parce que, justement, lui se sait unique et de fait incompris puisque hors normes. Cet enfant qui fait peur aux autres – puisqu’il les met en échec – finit par avoir peur de lui-même, ce qui aboutit à le rendre agressif et détestable. Tout le monde n’est pas Christophe Maé qui, après son échec scolaire (dès l’école primaire) et des problèmes de santé conséquents, a su et a pu systématiquement reconvertir son énergie créatrice au point de devenir l’un des artistes les plus doué de sa génération et obtenir la célébrité qu’on lui connaît aujourd’hui. Cet exemple d’actualité atteste, une fois de plus, que d’une part il y a peu d’élus mais, surtout, que les parents doivent se positionner de façon singulière, à leur tour, pour éviter une dramatisation encore plus marquée en cas de mini-révolution (ou de révolution) de la part de leur héritier, histoire d’éviter la sentence suprême : le Vous n’êtes plus mes parents, je me tire ! auquel le chef de famille s’oppose de principe, ce qui entraînera le couperet final : Dorénavant, t’es pas mon père ! suivi d’un claquement de porte qui se veut définitif et qui peut l’être d’ailleurs un jour…

Anéanti, tout le clan familial se réunit en contenant ses larmes et – erreur – en cherchant tous les moyens pour faire revenir le fugueur à de meilleurs sentiments. Oui, il s’agit là – même si c’est une réflexe parental humain – d’une erreur car lorsqu’on a tout essayé avec ce jeune révolté, y compris de passer l’éponge sur ses frasques et autres attitudes gravement anti-sociales, il faut changer la donne et penser à soi… à son tour… Y compris les autres membres de la fratrie – quel que soit leur âge – qui souffrent en général en silence mais qui souffrent beaucoup plus que ce que l’on peut le supposer lorsque leur frère ou leur sœur épidermique n’arrive pas à s’autoriser à s’imposer ce que celui-ci ou celle-ci désire.

• Jeanne, avocate, explique clairement en séance de psychanalyse comment elle s’est libérée – et du même coup sa famille – de la culpabilité qui la rongeait de savoir que sa fille Léa, 17 ans, non seulement fréquentait une bande de marginaux mais volait dans les magasins :

Pendant des années, c’est-à-dire dès que j’ai vu que ma fille était une enfant rebelle (comportement alimentaire pathologique dès son plus jeune âge, échec scolaire, troubles du sommeil, désobéissance incompréhensible…), j’ai essayé de revisiter ma vie, dans tous les sens. Oui, le père de Léa était un marginal (sédentaire), alcoolique, que j’ai connu jeune avocate, alors qu’il avait maille à partir avec la justice, oui j’ai eu le complexe du sauveur avec cet homme et j’ai échoué, d’autant qu’il n’a jamais pris, ni voulu cette place de père, oui j’ai compris que Léa s’identifiait en négatif à son géniteur et qu’elle m’en voulait de lui avoir donné ce géniteur… mais il y a eu un moment où j’en ai eu marre d’essayer de faire des liens qui ne résolvaient rien et de passer à côté de ma vie sentimentale. J’ai décidé d’enfin réagir et j’ai fini par me dire que si ma fille devait mal finir, c’était sa destinée ! J’ai fini par admettre que si elle ne voulait pas que je l’aide, j’avais des clients en grave difficulté avec la loi dans ma profession qui n’attendaient que mon soutien. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’entamer des études psychanalytiques, non pas pour chercher à comprendre mon enfant mais pour acquérir des outils psychologiques supplémentaires et complémentaires pour être le plus près possible des personnes qui me confient leur problématique dans l’exercice de mon métier… Pour avoir aussi une écoute empathique de qualité et ne pas prendre de risques projectifs liés à des affects personnels…

Jeanne s’est inscrite dans le choix légitime, sain, porteur et protecteur de stopper la dualité, ce qui lui permet d’exister sans culpabilité. Le Christ n’a-t-il pas dit que nul n’est prophète en son pays ? La reconnaissance vient majoritairement de ceux qui n’appartiennent pas à notre cercle familial. Tout d’abord pour des raisons de neutralité affective et ensuite, parce que le lien étant avant tout social, une vraie distance s’instaure. Les enjeux sont diamétralement opposés et vecteurs ainsi d’évolution de part et d’autre : le demandeur parce qu’il vient de lui-même chercher aide et conseils et qu’il sait que le professionnel n’a pas les mêmes attentes que lui, le professionnel parce que son métier le place dans une énergie où, dès lors qu’il aide, soutient, est reconnu, rechargeant et développant de facto son narcissisme. Ce qui lui permet d’ailleurs de progresser davantage encore socialement. Il existe de plus dans ce recentrage sur soi un atout majeur : l’enfant rebelle vit de l’intérieur un détachement imposé de l’extérieur par le parent. C’est en ce sens que si l’enfant a une démarche d’attention et d’observation suffisantes, il va constater que son parent existe en dehors de lui. Les recherches de conflits tomberont à l’eau d’elles-mêmes… Effectivement, le parent se tournant, sans plus ni davantage se laisser contrôler, vers sa famille sociale n’a plus de disponibilité inutile à consacrer à cet être qui fait l’impasse de la moindre reconnaissance. Ce qui n’empêche pas – on s’en doute – de rappeler à la maison les obligations d’une vie de famille qui se respecte. Mais, ne l’oublions pas, sans sortir la panoplie du « comment » et sa kyrielle d’explications psychanalytiques : les choses ayant été expliquées maintes fois, elles sont dorénavant ainsi… Les conversations à table, par exemple, une fois un intérêt normal accordé à chaque enfant, se centreront sur la vie de la cité, du pays, autrement formulé, prendront des allures de socialisation ! Ainsi pouvons-nous maintenant récapituler selon ces principes élémentaires les points essentiels face aux problèmes résistants, sédimentés dans la relation duelle parents/enfants, pour que ces incompréhensions mutuelles perdent leur intensité pernicieuse :

1) - Le parent privilégiera un axe social (combien même ce serait du bénévolat).

2) - Le parent tourmenté utilisera ses propres souvenirs d’expériences malheureuses avec son enfant récalcitrant pour développer son empathie vis-à-vis des personnes étrangères qui ne demandent que ça.

3) - Le parent, une fois une attention logique accordée à l’enfant qui cherche à le punir, rappellera invariablement – en étayant ses propos avec des moyens faciles (faits divers, informations politiques, échos-presse concernant le monde enseignant, l’institution hospitalière…) – que tout être humain évolue dans une société à laquelle il appartient et dont il a besoin.

Ces attitudes simples et pratiques de la vie quotidienne ont pour effet bénéfique de bien faire sentir à l’héritier en opposition récurrente qu’il ne s’agit pas qu’il soit performant pour sa famille. S’il doit avoir une exigence, ce sera – de fait – vis-à-vis de lui-même. Les affrontements ne servent à rien car, quoi qu’il arrive, les parents sont appelés à maintenir une bonne cohésion pour l’ensemble du système familial. Alors le fameux T’es pas mon père ! ne tiendra plus s’il y a non pas psychorigidité mais flexibilité…


 

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