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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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Découvrez gratuitement ici
la version en ligne ou numérique téléchargeable
du livre de Chantal Calatayud

" 55 minutes avec Freud "

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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La psychanalyse pourrait se résumer à envisager cette technique comme permettant de régler toutes les catégories de névrose d’échec. C’est-à-dire dépasser les résistances inconscientes, celles qui empêchent l’être humain d’exister fondamentalement et de se réaliser. Cependant, la pratique de la méthode freudienne est moins simpliste qu’il n’y paraît ou que certains ne l’imaginent...


S'appuyant sur une méthode et une méthodologie rigoureuses, Chantal Calatayud restitue avec précision et professionnalisme, à l'aide d'un cas clinique précis, ce qui se joue et se dénoue dans le transfert et l'espace/temps de la cure psychanalytique.

 

 

Être à sa place

 

Qu’on le veuille ou non, l’être humain a une sacrée propension à développer une sorte de sacrifice du Moi. Comme toujours, tout s’est joué dans les premières années de l’existence. Ainsi, l’inconscient n’a pas pu saisir psychologiquement la réalité : pour exemple, si une mère est occupée au téléphone par une conversation importante, elle ne va pas interrompre brutalement la conversation pace que son bébé vient de se réveiller de mauvais humeur… Le problème, c’est que celui-ci pourra en être très mécontent. D’une part parce qu’il ressent la nécessité que son grand objet d’amour soit à sa disposition quand il le décide (l’empreinte narcissique n’est jamais très loin !), d’autre part une petite angoisse abandonnique rôde qui déclenche les cris du nourrisson. Cet appel au secours, suivi de la venue de la mère quelques minutes plus tard, peut entraîner une véritable colère chez l’enfant qui tardera à se calmer, refusant même de sourire à celle qu’il aime tant… L’inconvénient, c’est que le petit d’Homme s’épuise avec ce type de réactions et, fantasmant punir « l’autre », il se punit in fine… Ce processus, appelé en psychanalyse « Renversement dans le contraire » ou encore « Retournement sur la personne propre », peut se retrouver, entre autres, des années plus tard dans la jalousie (même si la jalousie convoque d’autres points de fixation psychogénétiques). Il y a, quoi qu’il en soit, comme une nécessité à réparer à la suite de ce genre de comportements névrotiques excessifs. La littérature regorge d’exemples identiques comme c’est le cas du thème « La mégère apprivoisée ». Il existe de toute façon un certain masochisme moral à vouloir détruire l’interlocuteur puisque, encore une fois, l’inconscient retourne le processus contre lui-même et le surmoi, juge implacable, demande réparation… Une perte d’énergie phénoménale s’ensuit…

• Lucie semble épuisée ce matin. Elle est affalée dans le fauteuil, tête baissée, cherchant – comme dans un tic – à enlever des peluches imaginaires sur sa jupe noire…

•… Je suis de moins en moins sûre du bon choix de faire des chambres d’hôtes. Pourtant, Pierre assure. Mais, franchement, je ne me vois pas recevoir des étrangers à la maison… D’ailleurs, j’ai dit « étrangers » et je me demande bien pourquoi (silence)… Y’a pas d’amour dans ce que je vous dis là. Si c’est pour recevoir des gens fatigués, qui ont besoin de repos, et ne pas être accueillante ou disponible, il vaut mieux renoncer…

• Lucie se met à pleurer et s’en excuse…

•… De toute façon, mon problème n’est pas là. Combien même je gagnerais des millions d’euros au loto, combien même j’achèterais un château avec cet argent, l’essentiel n’y serait pas. Ma fille me manque chaque jour davantage. Je pensais qu’une analyse ça servait à accepter l’absence... C’est de pire en pire… Le week-end dernier, il a fallu que je mette de l’ordre dans mon armoire. Une photo de Marine est tombée

• « Tombée » = « Tombe » = « Béton » : la scansion s’impose, signifiant effectivement que les travaux – et en quelque sorte le béton – avaient hystérisé l’inconscient de Lucie. Cependant, le projet de chambres d’hôtes, qu’elle allait donc maintenant laisser tomber, lui a permis modestement – mais efficacement – de passer à une autre étape de son analyse.

• La séance suivante prend une tournure très différente. Lucie est joviale…

•… Les plans d’agrandissement de la maison vont être un peu modifiés : finalement, nous allons louer notre cabinet d’infirmiers en ville (nous avons déjà preneurs !) et nous allons installer notre cabinet libéral dans la nouvelle partie de notre habitation… (silence)… Ce n’est pas une question d’argent, c’est faire profiter notre clientèle d’un environnement agréable et sans le souci du parking… Enfin, vous allez encore me dire qu’il s’agit de rationalisations de ma part et qu’il doit bien y avoir autre chose dans cette nouvelle décision…

• Lucie baisse la tête et semble chercher une explication analytique, perdue dans ses pensées… Elle reprend…

•… Décidément, je ne trouve aucune autre explication à celles que je viens de vous « livrer »… Ça me fait tout d’un coup penser que j’avais perdu notre « livret » de famille. Eh bien, vous ne devinerez jamais où je l’ai retrouvé… C’est surréaliste. Je l’avais mis dans la boîte à gants de ma voiture. Bien sûr, au conscient, il y a une raison à ce geste. Je revenais de la Mairie où j’avais eu besoin de présenter ce livret de famille. Mais tout de même, de là à le placer dans la boîte à gants… (silence)…

• Je ne pouvais raisonnablement prendre le risque, à ce stade de l’analyse de Lucie, de renvoyer le transfert sur le terme « boîte », bien que de façon populaire, il signifie « cercueil »… L’analysante continue après un temps assez long…

•… Ça me fait penser que je ne mets jamais de gants... Je ne prends donc pas souvent de gants… Je ne suis pas la seule dans ce cas ! Je fais allusion ici à mon père qui peut être très castrateur. Pourtant, quand on sait ses infidélités, on n’apprécie guère dans la famille qu’il soit donneur de leçons…

• Le grand-père de Lucie ayant été proviseur, je la scansionne sur « donneur de leçons » et fais l’interprétation dans ce sens… L’abréaction de cette analysante est fort intéressante d’un point de vue psychanalytique…

•… Mais j’y pense, mon grand-père conduisait toujours avec des gants ! Il disait qu’il tenait ça de son propre père qui aimait les gants puisqu’il avait été officier de marine

• On peut rajouter bien sûr que le mot « officier » peut se décliner phonétiquement en « eau-fils-scié », par exemple, ce que je prends soin de noter sur le dossier de Lucie, bien que le lien entre l’eau et un fils (et non pas une fille) me laisse dubitative et perplexe… Quant au phonème « scié », il peut renvoyer, lui, entre autre possibilité discursive à « bois »… Qui pourrait, une fois transformé, devenir le verbe « boire » et ainsi, « boire la tasse », ce qui – quoi qu’il en soit – revient à la noyade mais avec cette nouveauté d’un élément mâle en tant que victime dans le transgénérationnel.

• Lucie me relate aujourd’hui sa consultation gynécologique de la veille…

•… J’étais sûre que j’avais une mycose…

• L’inconscient me confirme à cet instant que, jusqu’ici, il n’a livré que la moitié de la réalité : entendons – bien entendu – « mi-cause », c’est-à-dire « causer à moitié » mais avec aussi cette culpabilité jaillissante de par le phonème « cause » (être responsable d’une situation)…

•… En fait, rien de rare dans le traitement que le Docteur m’a donné. Mais je ne pense pas que je sois allée le consulter que pour mes champignons, ajoute Lucie énigmatique… (silence)… J’ai remarqué dans son bureau un petit tableau qui n’y était pas auparavant. Comme il était au téléphone, j’ai eu le temps de bien regarder cette peinture. C’était une marine…

•… Je laisse passer cette ambivalence langagière, trouvant que les compulsions autour du prénom de la fille de cette patiente devenaient un peu trop systématiques, c’est-à-dire symptomatiques. Quand Lucie se met à m’asséner avec une grande agressivité…

•… J’ai dit « Marine » et là, vous ne m’arrêtez pas !

• Ce n’est pas sur Marine, effectivement, que je choisis de stopper la séance mais sur « Vous ne m’arrêtez pas »… Et là, la colère de l’analysante de se transformer en larmes et en abattement » (tel un acting out parlant)…

•… Je ne vous ai jamais dit que mon grand-père avait été un « collabo » notoire. Et ici, maintenant, je viens de réaliser que les « collabos », parmi leurs odieux méfaits, pour faire avouer des résistants immergeaient leur tête dans un lavabo plein d’eau… Je ne vous ai jamais parlé non plus de mes rites de lavage obsessionnels et je réalise vraiment, aujourd’hui, le lien. En fait, j’étais en confusion totale avec l’histoire de mon aïeul…

Ainsi, et dans le fragment de cette analyse, pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre de Donald W. Winnicott, psychanalyste de formation médicale, on constate – une fois encore – que l’évitement ne résout rien. Et surtout qu’il ne peut d’aucune façon que ce soit permettre de prendre sa place… Ce qu’allait enfin, à l’inverse, pouvoir faire Lucie, avec la possibilité nouvelle de sublimer sa souffrance nouée dans le décès de son enfant… Et de continuer « sa » route mais de façon réflexive et non plus émotive sous la primauté de ses affects.


C’est l’arrivée d’une petite fille, Léopoldine, deux ans plus loin, qui conclura le parcours analytique de Lucie. Lucie a tenu à lui donner ce prénom, tout en étant très consciente de l’histoire de Victor Hugo… Nous sommes en novembre 2005…

 

Epilogue

 

 

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