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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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la version en ligne ou numérique téléchargeable
du livre de Chantal Calatayud

" 55 minutes avec Freud "

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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La psychanalyse pourrait se résumer à envisager cette technique comme permettant de régler toutes les catégories de névrose d’échec. C’est-à-dire dépasser les résistances inconscientes, celles qui empêchent l’être humain d’exister fondamentalement et de se réaliser. Cependant, la pratique de la méthode freudienne est moins simpliste qu’il n’y paraît ou que certains ne l’imaginent...


S'appuyant sur une méthode et une méthodologie rigoureuses, Chantal Calatayud restitue avec précision et professionnalisme, à l'aide d'un cas clinique précis, ce qui se joue et se dénoue dans le transfert et l'espace/temps de la cure psychanalytique.

 

 

Principe de plaisir et identification

 

Les confusions maternelles de Lucie

Le fœtus vit une période idyllique dans le ventre de sa mère, malgré un processus paradoxalement ambivalent : s’il se trouve dans une sphère quasi hermétique, pendant plus ou moins neuf mois, ce processus – dit de pare-excitations – le coupe de la réalité extérieure. Ainsi, ce bébé en devenir ne peut en aucun cas imaginer qu’en dehors de lui, il existe un autre monde. C’est-à-dire que si cette protection psychophysiologique lui permet de se développer dans la majeure partie des cas sans encombre, cet atout cocooning fait grandir en lui – déjà – une sorte de toute-puissance fantasmatique. Jusqu’au moment où arrive la naissance qui devient, de facto, un véritable traumatisme : l’extériorité que l’enfant reçoit, aussi bien au niveau organique (l’air s’engouffrant avec brutalité dans les poumons non habitués à cet élément) qu’au niveau inconscient, apparaît de l’ordre d’une agression violente.

• Lors de sa première consultation, Lucie parle facilement. À la façon de Carl Gustav Jung, j’utilise un mot inducteur à chaque séance, induction qui pose de bonnes limites à l’inconscient car celui-ci a besoin d’être étayé dans le transfert pour se sentir en sécurité. Ce terme inducteur change à chaque consultation puisqu’il s’inscrit dans le développement psychogénétique de l’analysant selon une chronologie précise. Pour exemple, j’utilise le mot « plaisir » lors du premier entretien. J’introduis ce terme sans que l’analysant ne s’en rende compte consciemment (il n’en est donc pas informé au préalable) et à un moment possible : lorsque l’inconscient donne à entendre qu’il ne projette plus sur l’analyste un maximum de pulsions de mort. Entendons ici quand, dans le langage, le patient se centre sur lui, prêt à parler au nom de « je ».

• Lucie semble heureuse ce matin en évoquant la galette des rois partagée avec les membres de son club d’escalade, la veille.

La méthode psychanalytique nécessite de commencer par un travail en lien avec la mère (fantasmatique), puis avec le père (fantasmatique). La méthodologie psychanalytique, elle, correspond à la guidance de cure selon une écoute singulière des propos de l’analysant. Ainsi, très schématiquement, il s’agit pour le psychanalyste de dominer une grille de lecture spécifique à sa profession. Cette grille de lecture travaille bien entendu sur l’inconscient, donc sur le discours, que Jacques Lacan distinguait du langage conscient. Pour exemple, lors de cette séance, Lucie parle de « galette ». Ce mot a déjà son homonyme familier qui, au sens figuré, signifie « argent », voire « pécule ». Mais « galette » peut encore se décliner phonétiquement en : « gars » – « gale » – « halle » – « hâle » – « halète » – « galet » – « Gallé » (Émile) – « halle » – « allez » – « allée » – « allaite » – « lait » – « laid » – « hais » – « haie » – « ai » – « et » – « êtes » –. Sans compter les liens discursifs que l’on peut faire en inversant ce même mot « galette » ; ainsi : « élague » – « Ella » – « la » – « las » – « là ». Mais les combinaisons phonatoires présentent aussi potentiellement des liens qui peuvent devenir contigus : « étale » – « tag » – « latte » – « halte »… Je m’arrête donc ici comme me le suggère mon propre inconscient qui place, sur ma démonstration, un stop en tant que limite protectrice pour moi et pour vous, chers lecteurs ! En revanche, si l’on reprend le raisonnement freudien énoncé dans ce chapitre, le psychanalyste se doit d’établir un lien associatif entre la période d’identification à la mère et la proposition phonatoire discursive établie par toutes les autres ! « Allaite » devient intéressant, indiquant déjà que cette période de l’existence de Lucie (globalement entre sa naissance et ses deux-trois premiers mois de vie) s’est bien passée. Imaginez l’aspect très positif de ce qui émerge là, précisément, alors que Lucie ne pouvait se vivre inconsciemment que comme une mauvaise mère depuis le décès de Marine.

Sur cette séance, la jeune femme continue à associer au nom de la vie. Jusqu’à cet instant magique qui interrompt son flot de paroles, la scansion : cette particularité dont se sert l’inconscient pour signaler qu’à ce jour, à cet instant, il n’a plus l’énergie nécessaire pour livrer autre chose ; il ne peut donc pas aller plus loin pour cet entretien. Car Lucie vient de libérer, sans le réaliser tout de suite, le terme « noyer » en me racontant le retour d’une sortie escalade qui avait poussé l’équipe à s’installer dans les rires et dans la bonne humeur sous un vieux noyer centenaire… L’interprétation est aisée : Lucie comprend immédiatement que le prénom de « Marine », qu’elle a choisi pour sa fille maintenant disparue, n’était pas le fruit du hasard et qu’une compulsion transgénérationnelle de noyades, certainement « tues », va aussi sûrement commencer à s’arrêter. En outre, son affect de mauvaise mère n’était jamais, fondamentalement, qu’une répétition séculaire du symptôme déguisé de sa filiation. Son abréaction est magique : Lucie me dit alors qu’envisager une autre grossesse ne relèverait pas d’une attitude inconséquente dès lors que cette expulsion a été faite… Je tiens à préciser que les réactions positives, liées à une libération d’un affect, sont rarement aussi rapidement probantes. Quoique…

La méthode freudienne envisage des rythmes que l’on peut facilement observer chez le nourrisson. Ainsi, et même si l’inconscient ne fonctionne pas selon une horloge biologique immuable d’un individu à un autre, généralement entre 0 et 18 mois, il est possible d’objectiver 7 comportements différents qui traduisent pour le bébé sa bonne évolution psychologique :

> Une période d’identification à la mère comprenant :

- un fantasme d’absorption

- un fantasme d’envahissement par le vide

- un fantasme de projection/contrôle

- un fantasme d’engloutissement

- un fantasme d’auto destruction

- la translation (ou découverte de la distance)

- un principe de guérison.

Sur les six étapes qui ont suivi la première séance de Lucie quant au fantasme d’absorption, ses scansions ont été les suivantes :


• … Depuis, ma cousine ne me mène plus en « bateau » (en lien avec le prénom de Marine)

• … En lui parlant, je me sens parfois « mal » (en lien avec les mâles qui ne sont jamais malades)

• … Je détestais les airs méprisants de ma prof de maths, Madame « Erny » (en lien avec son hernie inguinale)

• … Ma meilleure amie est du signe du « cancer » (en lien avec le cancer de Jacqueline)

• … En Tunisie, je bois du thé ou du café « maure » (en lien avec la « mort » de Marine)

• … J'ai cassé mon miroir ce matin. Je n'aime pas casser mais j'ai été surprise : ça ne m'a pas fait mal au « coeur » en lien avec la cardiopathie de Marine, indépendamment de nausées liées à la grossesse).

L’emploi de termes ambivalents qui font sens pour l’inconscient de l’analysant – autrement dit, ceux qui sont scansionnables – faisait prononcer à Jacques Lacan sa phrase devenue aujourd’hui célèbre : « Je ne vous le fais pas dire ! »…

 

Les confusions paternelles de Lucie

La période dite d’identification au père s’étend environ du 18ème au 30ème mois de l’enfant. Si certains courants psychanalytiques le réfutent, le simple fait de regarder le petit d’Homme lors de cette période rend cette hypothèse cohérente. Là encore, 7 attitudes psychologiques sont manifestes. Toutefois, si la mère a su poser une certaine distance, le père saura imposer une différence certaine : la loi. Comme la mère a plutôt dit oui, le père dira non lorsque la situation l’exigera. C’est ainsi que l’inconscient collectif a une propension à plus facilement pardonner aux femmes qu’aux hommes ! Effectivement, l’inconscient accorde des circonstances atténuantes à la mère : si celle-ci dit non, c’est qu’elle ne peut pas dire autre chose (c’est-à-dire oui !). Par contre, si le père dit non, il ne veut pas faire autrement… D’ailleurs, le passage de l’identification au père peut poser problème à l’inconscient de l’analysant. Car, même si – pour exemple – son histoire a été plus douloureuse avec son géniteur qu’avec sa génitrice, quoi qu’il en soit, le bât blesse souvent davantage avec ce que Sigmund Freud a nommé le changement d’objet. L’objet en psychanalyse est à entendre en lieu et place de ce que l’inconscient veut absolument s’approprier, à la différence du sujet qui a une autonomie propre, des désirs et des droits légitimes qui ne sont pas contestables. Mais, seule une maturité pulsionnelle suffisante permet de faire le distinguo et de considérer autrui comme individué et libre.

La perception de l’objet lors de la phase identification à la mère est sphérique : d’une part en raison de la mémoire de la rondeur du ventre maternel, d’autre part parce que non seulement le contour du sein est circulaire mais l’orifice buccal aussi. Sans oublier que chez l’être humain, les orifices oraux sont également sphériques, comme le nez, les oreilles, les yeux. L’anus n’échappe pas à la règle. La zone génitale non plus : si filles et garçons sont sur un plan anatomique différents, il n’en demeure pas moins que pour l’inconscient, l’extrémité de la verge se termine par un trou ! Il est d’ailleurs fréquent de pouvoir regarder un petit enfant qui s’applique à mettre son index dans son nombril, sans grand succès de pénétration, ce qui ne manque pas de le laisser dubitatif ! Ce réflexe de recherche d’intromission est d’ailleurs dû au fait que l’inconscient humain connaît deux modes d’auto conservation : l’introjection et la projection. Cette particularité entraîne très vite le fantasme que ce qui est mis à l’intérieur pourra être projeté à l’extérieur mais l’extériorité pourra être, de la même façon, la base d’une introduction. Il n’est qu’à voir également l’enfant dans le bac à sable qui peut ne pas hésiter du tout à introduire des cailloux dans sa bouche… Seule la main n’est pas assimilée à ces mécanismes pulsionnels mais les doigts deviennent alors les vecteurs idéaux pour faire. Par la suite, lorsque l’enfant parvient à observer le père ou les hommes, il les envisage comme plus phalliques – ce qui est logique. C’est ainsi que les formes masculines sont représentées dans le psychisme par des éléments plus longs, plus pointus. Cette approximation de l’objet phallique découle du fait que l’enfant – même petit – perçoit que le père a une capacité à la préhension plus ferme, plus brutale, donc moins en rondeur. Tout comme son timbre de voix est plus grave et son odeur souvent plus forte… Le phallus prend alors petit à petit des allures oblongues.

• Lucie se dit à l’aise avec la technologie actuelle qu’elle félicite à l’aide de moult exemples imagés. Sauf les téléphones portables qui, selon elle, ne valent rien… Elle poursuit, lors de la traversée de cet important narcissisme primaire en identification au père : Ils sont tous nuls… La scansion porte sur l’ambivalence langagière « nuls » qui, dans un premier temps, la renvoyait à la série littéraire dont elle m’avait parlé vingt minutes auparavant. Mais surtout, sur cette structure psychogénétique, son inconscient tenait à faire entendre que l’homme n’existait toujours pas vraiment ! C’est-à-dire que comme la gent masculine de sa filiation ne manifestait pas de somatisation fatale, finalement leur existence était inconsistante…

Sur les six étapes qui ont suivi la première séance de Lucie en identification au père, ses scansions ont été les suivantes :

• … Mon mari a un petit « bidon » (en lien avec la coque vide que représente le père fantasmatique pour Lucie)

• … Ma mère m’a donné du confit de « canard » (en lien avec un mutisme accordé à l’homme en général)

• … Il faut toujours qu’il fasse des « salades » (histoires) (en lien avec l’épisode anorexique de Lucie pendant lequel elle ne se nourrissait que de légumes)

• … Dans mon jardin, j’ai enlevé les « nains » (en lien avec la transparence que l’analysante accordait jusqu’ici à la gent masculine)

• … J’ai appelé mon chiot « Tintin » (en lien avec l’expression populaire qui signifie privation : en l’occurrence ici, l’homme est synonyme d’absence)

• … Mon père nous a abonnés au « Point » (en lien avec le signe typographique qui occupe un espace réduit sur la feuille).

Dans ces différentes scansions, on constate combien être attentif à ce que véhiculent le sens propre et le sens figuré est important… Il existe, dans ce mélange de genres volontairement égrenés par l’inconscient du patient, tout le poids des mots qui libèrent alors des maux écrasants à chaque séance. Revenons sur l’ambivalence « Point » : il est bien évident que le langage de Lucie signifiait alors qu’il s’agissait du célèbre journal. Mais aussi de « poing ». Le « point » sur lequel j’ai scansionné cette analysante implicitait, de par les jeux confusionnels discursifs, que l’homme était encore tellement insignifiant qu’il ne lui faisait pas peur et qu’il n’y avait donc pas lieu de s’en préoccuper… L’affect de « mauvais père » tombé, l’inconscient de Lucie a pu alors renforcer sa position de « bonne mère » pour apparaître suffisamment renarcissisé pour continuer à affronter la suite de sa cure analytique.


Chapitre 5 - Qui suis-je ?

 

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