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A lire : les livres et quelques articles
de Chantal Calatayud,
psychanalyste, didacticienne analytique,
auteur,
parus dans Psychanalyse magazine.

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la version en ligne ou numérique téléchargeable
du livre de Chantal Calatayud

" 55 minutes avec Freud "

Editions Villon
Collection " Vivre heureux tout simplement... "

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La psychanalyse pourrait se résumer à envisager cette technique comme permettant de régler toutes les catégories de névrose d’échec. C’est-à-dire dépasser les résistances inconscientes, celles qui empêchent l’être humain d’exister fondamentalement et de se réaliser. Cependant, la pratique de la méthode freudienne est moins simpliste qu’il n’y paraît ou que certains ne l’imaginent...


S'appuyant sur une méthode et une méthodologie rigoureuses, Chantal Calatayud restitue avec précision et professionnalisme, à l'aide d'un cas clinique précis, ce qui se joue et se dénoue dans le transfert et l'espace/temps de la cure psychanalytique.

 

 

Vous avez dit Œdipe ?

 

Si pour une grande partie du genre humain, le Complexe d’Œdipe n’est plus un postulat freudien complètement hermétique aujourd’hui, la fameuse crise d’adolescence se révèle toujours et encore une période particulièrement difficile pour les parents. Car les adultes ne comprennent pas pourquoi leur enfant, jusqu’ici adorable, compréhensif, se révèle soudainement rebelle, insoumis, voire grossier et violent, prenant comme un malin plaisir à vivre de façon anarchique. Il est bien évident que tous les ados ne réagissent pas à l’identique mais plus les fréquentations sont à l’opposé de l’éducation qui a été donnée, plus il est évident que la crise œdipienne est en fait sérieuse. Autrement dit, si un jeune de 16-17 ans est enclin à résoudre psychiquement son Œdipe, moins l’agressivité et les recherches de conflits seront au rendez-vous. Très souvent d’ailleurs, cette période est accompagnée d’une mise en échec scolaire soudaine avec cours séchés, signature des parents imitée etc. La transgression est majeure mais ces attitudes récalcitrantes sont le reflet pour l’ado de sa difficulté à accepter inconsciemment le rôle protecteur de l’interdit de l’inceste, imposé par le père en particulier. Encore une fois, si un jeune arbore un look qui peut mettre mal à l’aise son entourage familial, il faut en déduire qu’il a beaucoup de mal à renoncer à ses élans amoureux infantiles inconscients pour ses géniteurs, ou leurs substituts. Mais il est important de savoir aussi qu’entre 11 ans et 16 ans en moyenne, il s’agit d’une réactivation d’une première phase œdipienne qui s’est déroulée plusieurs années auparavant, entre 3 et 5 ans en règle générale. Cette période passe beaucoup plus inaperçue car les adultes sont sensibles aux attitudes alors affectueuses de la petite fille ou du petit garçon. L’enfant s’impose très présent aux côtés du parent, pouvant demander à aider au ménage, à la cuisine, et même au garage ! Il le sollicite aussi sans cesse pour jouer et la famille s’en réjouit. Toutefois, l’inconscient parental étant passé enfant par le tabou de l’inceste, loi ferme et rigoureuse quant au respect de l’humanité et de ses individus, les parents peuvent en arriver à trouver leur chérubin « collant » et lui demander d’aller jouer plutôt avec ses copains… Ce que l’enfant finit par accepter de faire, d’autant qu’il est à un âge où la scolarité est obligatoire. Il s’ouvre à l’extérieur et pendant globalement 6 ans, il traverse la période dite de latence. Il faut cependant savoir aussi que les événements peuvent déjà se dérouler de façon névrotique et résistante, entraînant le plus souvent un échec scolaire avec, notamment, des troubles de l’apprentissage de la lecture. Françoise Dolto en donne une explication simple mais très parlante : le verbe lire, conjugué à l’impératif donne lis ; ainsi, un enfant aux prises avec des angoisses liées au Complexe d’Œdipe et à la menace de castration du père qui est inhérente, peut entendre lit, c’est-à-dire la couche. Le lit ramenant donc à l’interdit de l’inceste, si une anxiété à ce stade s’avère non dépassée, non résolue, l’inconscient paralysé n’enregistrera pas les moindres consignes nécessaires à la lecture. L’Œdipe est donc épineux pour l’être humain et Sigmund Freud, lui-même, le redoutait dans les propres cures psychanalytiques qu’il conduisait, l’associant à un roc à franchir par le patient et pour le… psychanalyste !

Avec mes analysants, je décline ce très long passage de l’analyse en trois parties :

  • – Le refoulement imagoïque.

  • – L’intemporalité.

  • – La schizure corps/esprit.

 

A) Le refoulement imagoïque

• Lucie se plaint aujourd’hui de son mari :

• … Une semaine qu’il devait tondre le gazon… Comme d’habitude, il a remis à plus tard… J’en ai eu marre, j’ai fini par passer la tondeuse…

Je laisse passer cette scansion possible en première composante œdipienne car, même si la tondeuse peut renvoyer à une attitude castratrice en lien avec l’appareil utilisé par les coiffeurs, cette ambivalence langagière n’est pas représentative du stade psychogénétique abordé lors de cette séance et compte tenu de l’histoire de l’analysante. Effectivement, l’inconscient de Lucie est arrivé à la reschématisation de la constitution de deux images d’elle-même (comme tout analysant à ce moment de sa cure) : une imago maternelle en tant qu’identification à la mère et une imago paternelle en tant qu’identification au père. Mais, dans le cas de Lucie, l’image principale qu’elle doit développer, compte tenu du genre auquel elle appartient, est féminine. Elle doit donc accepter inconsciemment le je de la mise en sommeil de sa part masculine, dont elle ne se servira plus qu’à bon escient quand nécessaire dans son existence. Prenons un exemple : une femme chef d’entreprise, à la tête d’une équipe de vingt ouvriers, pourra avoir besoin de faire preuve d’autorité au travail. Mais, lorsqu’elle retrouvera son compagnon en rentrant à la maison, sa douceur et sa tendresse devront rester accessibles et omniprésentes.

• Lucie continue à associer librement…

•… Je sais que j’ai eu tort, je fais tout son jeu…

L’analysante hausse progressivement le ton tout en énumérant dans un flot de paroles continues et ininterrompues à en perdre le souffle les « défauts » de son conjoint. Jusqu’au moment où elle ajoute :

Je sais que depuis que Marine est morte, Pierre n’a plus goût à rien. Je sais aussi que je n’ai pas à faire les choses à sa place. Mais je suis maniaque et voir mon jardin dans cet état m’est insupportable… Remarquez, je le juge alors que j’ai bien laissé mourir le poisson rouge dans son bocal… Par manque de soins… C’est vrai, il m’énervait à tourner en rond… (rires nerveux)… Je l’avais baptisé Fonfon… Ce n’est pas gentil pour mon mari… J’hésite à vous dire pourquoi… (silence)... Parce que près de chez moi, il y a un restaurant qui s’appelle comme ça, j’y avais dîné il y a longtemps avec mon amoureux de l’époque, Rémi… Il était vendeur dans un magasin d’ameublement : « Le vieux noyer »…

La scansion revêt ici une double fonction : d’une part, l’arbre bien sûr mais qui, selon cette ambivalence langagière, renvoie à noyade, et d’autre part, à la partie masculine de Lucie qui connaissait jusqu’ici un processus de refoulement névrotique (le vieux noyé), que son inconscient avait commencé à libérer – comme nous l’avons vu – quelques séances auparavant.

 

B) L’intemporalité

• Lucie démarre sa séance, sur un ton neutre, en me parlant de l’humoriste Patrick Sébastien. Elle revient sur la disparition de son fils. Elle a vu, dit-elle, une très belle émission de télévision consacrée au père. Elle me précise qu’elle n’a pas été étonnée d’entendre une personne, interviewée dans le cadre de ce reportage, insister sur le fait que Patrick Sébastien était beaucoup plus proche de son fils que ce que certains ne le pensent… Elle égrène ensuite le nom de plusieurs artistes ayant perdu un enfant :

•… Michel Serrault, Bernadette Lafont, Jean-Paul Belmondo… Finalement, ajoute Lucie, on les envie tous ces gens-là mais le malheur ne les épargne pas non plus… Ils sont d’ailleurs très courageux car, la plupart d’entre eux, malgré leur deuil, continuent à assurer leur spectacle. Souvent, je pense à tous ces grands noms et ils me donnent la force d’avancer… C’est pour cette raison que je ne risque pas de critiquer la presse people…

• Lucie développe avec application l’idée philosophique d’une certaine justice chez les humains…

•… Dans toutes ces injustices que l’on rencontre sur terre, chez les pauvres ou les riches, les connus ou les inconnus, finalement la misère morale frappe… (silence)… C’est ce que j’expliquais il y a quelques jours à une cousine qui n’était pas d’accord avec ça… Ça m’a énervée dans la mesure où elle n’a ni mari, ni enfant, des parents en bonne santé, de l’argent… Elle est loin des réalités de la vie… Elle se prend d’ailleurs pour une véritable princesse… L’humilité, elle ne connaît pas trop… Je me rends compte du reste qu’elle est de plus en plus dans le « paraître »… C’est sûr même, il y a une escalade

Du fait du passage psychogénétique traversé alors par l’inconscient de Lucie et l’escalade qu’elle pratique en club, je stoppe la séance sur ce terme. L’interprétation devient évidente pour la patiente qui comprend qu’elle laisse chuter à cet instant une espèce de mouvement libidinal dirigé vers le « Haut », se coupant de fait d’un ancrage dont elle a pourtant bien besoin. Son abréaction – c’est-à-dire l’acceptation de l’interprétation – va dans ce sens :

Je suis heureuse de lâcher inconsciemment ma tête dans les nuages. D’abord, en aucun cas cette attitude ne pouvait faire revenir Marine et puis, professionnellement, je ne peux pas avoir la tête ailleurs…

Lucie revit ici son passage œdipien personnel de par la conduite de sa cure analytique et l’abandonne progressivement. C’est une évolution essentielle qui s’impose à ce moment précis de toute psychanalyse car la mémoire est là : chaque enfant étant (donc) soumis à l’interdit de l’inceste, l’inconscient va chercher à vivre malgré tout ses pulsions amoureuses interdites. C’est pour cette raison qu’il intemporalise ses scénarios, à son insu encore une fois. Si le rêve permet ce genre d’échappatoire, malgré quelque angoisse de castration pouvant parfois s’infiltrer au point d’engendrer un cauchemar (c’est le cas de ces nuits agitées où les enfants se réveillent en sursaut tandis qu’ils combattaient un monstre !), le jeu – sous l’égide de ce que la psychanalyse nomme déplacement – permet aussi cette forme d’état évanescent et virtuel dans lequel tout est possible… Mais il est certain qu’il est difficile d’intégrer la réalité dans de telles conditions. Malheureusement, certains adultes – toujours sous l’emprise de leurs pulsions œdipiennes – peuvent en faire les frais… Les comportements immatures font partie des conséquences liées à ce type de fixations inconscientes. Pour en revenir à Lucie, comme l’exemple pré-cité en témoigne, elle se libère de ses fantasmes d’intemporalité qui, même s’ils concernent ce lien délicat qu’elle garde avec Marine, abritaient aussi jusqu’ici un mécanisme vivace : n’oublions pas que Jean-Guy, le père de Lucie, bien que considéré par ses parents comme fils unique, avait une sœur aînée : Michelle, décédée elle aussi d’une cardiopathie. Ainsi l’inconscient de Lucie entretenait-il – jusqu’à cette séance précise – le fantasme non seulement de faire virtuellement « vivre » Marine mais de lui donner – par là-même – la place de Michelle, la faisant de facto vivre également… Autrement dit, Marine était donc bien l’enfant œdipien – fantasmatique bien entendu – « fabriqué » par l’inconscient de Lucie avec Jean-Guy. C’est ainsi que l’intemporalité permet d’obtenir tout aussi inconsciemment ce que la réalité ou la loi – ici donc l’interdit de l’inceste – n’autorise pas…


C) La schizure corps/esprit


• Lucie est ravie que son mari accepte d’agrandir et de transformer une partie de leur villa en chambres d’hôtes. Oubliés aujourd’hui les reproches qu’elle lui adresse souvent quant au fait qu’il remette systématiquement à plus tard ce qu’il a à faire dans l’entretien de la maison et du jardin. Je le lui rappelle… La réponse ne se fait pas attendre…


•… Je ne suis vraiment pas inquiète compte tenu de son nouveau positionnement. D’abord, il y a longtemps qu’on en parle. Mais surtout, quand je vois les idées qu’il a au niveau de la restauration, je me dis qu’il est dans son désir… À une époque, il voulait tout plaquer pour vivre en caravane. J’ai toujours un peu peur de ce type de réactions qui sentent le nomadisme… C’est qu’on peut vite se désocialiser dans la vie ! Là, je suis plus que rassurée. Par exemple, c’est lui qui insiste pour que la première chambre d’hôtes soit prête pour l’été prochain. On en est aux plans mais je sens une impatience fébrile chez mon homme… Et puis, à nous deux, ça avancera vite…


À ce stade de la cure, on assiste très fréquemment à ce genre d’attitudes optimistes. Tout simplement parce que la période œdipienne donne l’illusion que l’échec est transformable. Il est bien entendu que, potentiellement, c’est le cas mais l’inconscient s’acharne, lors de ce passage psychogénétique, à schizer, c’est-à-dire à couper la réalité. Il y parvient en posant un déni sur le lien corps/esprit. Dans la séance actuelle de Lucie, on voit bien qu’elle associe son travail à celui de son mari pour la construction et la réalisation des chambres d’hôtes. Mais on constate également que son engagement reste virtuel : jamais la jeune femme ne précise quelle sera son implication physique lors des travaux. Or, elle n’est vraiment pas bâtie pour casser des cloisons ! Et, de toute façon, elle n’a pas la moindre formation qui lui permette de faire du plâtre, par exemple. Quant à Pierre…


•… Mon mari a déjà repeint la maison deux fois… Il a le sens de la déco, même s’il n’est pas toujours appliqué… C’est curieux mais je suis confiante. C’est bien la première fois d’ailleurs, je l’avoue !


Mais qu’est-ce qui donne soudainement confiance à Lucie ?

•… Mon amoureux dévore actuellement toutes les revues qui traitent de bricolage amateur…

J’insiste sur le fait que la réalisation de chambres d’hôtes nécessite un savoir-faire que ne saurait tolérer le moindre amateurisme. Notamment dans l’installation de la salle de bain…


•… Pierre s’est renseigné. Il désire installer une cabine de douche… C’est plus simple, paraît-il, et ça tient moins de place… Pour la plomberie, j’ai oublié de vous dire qu’il se fera aider par un cousin dont c’est la profession. C’est drôle, je suis entrain de refouler son nom… (silence assez long)… Ça m’énerve ça, d’autant que je l’aime beaucoup (long silence)… Toujours est-il qu’il est marrant. Je vous donne juste un exemple : c’est pas un klaxon qu’il a, c’est une sirène


La séance est interrompue sur cette superbe ambivalence langagière que constitue le terme sirène dans l’histoire de Lucie (et de sa petite fille Marine) mais qui correspond également tout à fait à la structure psychogénétique de la consultation présente, la sirène connaissant un clivage – pour le mythe – suffisamment éloquent : mi femme, mi poisson, l’inconscient de cette analysante a toujours besoin d’étayage mais il ressort de ce matériel discursif une confiance en soi, certes un peu maladroite mais qui fait tout de même son chemin… La dimension de responsabilité prend ici une forme intéressante dans la mesure où l’inconscient de la patiente commence à sentir que c’est à lui d’effectuer le travail nécessaire pour émerger

 

Chapitre 7 - Être à sa place

 

 

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